Le syndicat Washington Alliance of Technology Workers (Washtech) a mis en ligne le 11 juin un jeu baptisé "The Tech Worker Challenge" pour dénoncer les pratiques sociales en vigueur dans les entreprises américaines du secteur des technologies de l’information. Et mobiliser les salariés contre l’expansion du phénomène de sous-traitance délocalisée.
Challenge pour le travailleur : ne pas se faire écraser par les poids lourds du high tech (DR)
Le Tech Worker Challenge s’inspire du célèbre jeu Frogger, dans lequel une grenouille devait traverser une route sans finir écrasée. Cette fois, le joueur doit emmener des salariés de l’autre côté d’une autoroute (de l’information ?), en évitant des camions frappés des logos de grandes entreprises high-tech : Microsoft, Sun, IBM, Intel, Hewlett-Packard.
"Evitez les employeurs qui foncent et se fichent pas mal d’écraser votre personne, votre carrière et votre avenir", indique l’annonce du jeu.
A chaque accident, le jeu dénonce les abus des employeurs ou les maux qui frappent les salariés : "60 heures hebdomadaires, heures sup’ non payées...", "Quels avantages ?!? Vous êtes un intérimaire !", "Vous êtes citoyen américain ? Vous êtes viré !", "Vous avez été inscrit sur la liste noire"...
A l’inverse, en cas de succès, un panneau vous félicite : "Grâce à vous, ce salarié peut s’exprimer sur son lieu de travail, faire entendre son avis sur les lois locales et fédérales concernant l’emploi dans le secteur des technologies de l’information et choisir librement sa représentation syndicale. Malheureusement, des milliers de salariés [dans ce secteur] n’ont pas cette force collective."
Appel à la syndicalisation
Créée en 1998, Washtech est une branche locale (basée dans l’état de Washington, au nord-ouest des Etats-Unis) de la Communication Workers Association, un regroupement d’employés du secteur du secteur de la communication, lui-même affilié au géant syndical AFL-CIO.
S’il ne revendique que 300 adhérents et un millier d’abonnés à sa newsletter, Washtech s’est déjà distingué plusieurs fois aux Etats-Unis, notamment par ses efforts pour créer une section syndicale au sein du marchand en ligne Amazon. Auparavant, ses responsables avaient milité pour faire reconnaitre les droits des "temp’ workers" de Microsoft, ces salariés intérimaires ou précaires qui représentent près d’un tiers de la main d’oeuvre du géant informatique.
Pour Washtech, qui lutte depuis des années pour la création d’un syndicat national des nouvelles technologies, le lancement du Tech Worker Challenge est un moyen de sensibiliser les salariés américains aux bénéfices de la syndication. Mais la défense organisée des salariés souffre toujours aux Etats-Unis d’une image douteuse.
"Pour nous, ce n’est qu’un petit jeu distrayant, mais qui donne aussi aux employés qui y jouent la possibilité de nous contacter et de nous aider à faire avancer les choses", explique Mike Blain, le responsable éditorial de Washtech.org et l’un des initiateurs de ce jeu à vocation pédagogique.
Aucune crainte d’une action en justice de l’une des sociétés dont le logo figure les camions du jeu ? "Le jeu est clairement satirique, estime Mike Blain. Si une entreprise nous attaquait pour avoir utilisé son nom dans le jeu, elle saurait qu’une action légale ne ferait que lui donner plus de retentissement, ainsi qu’aux questions qu’il soulève. En tout état de cause, nous pensons que nous sommes dans notre bon droit et que nous gagnerions en cas de procès."
Contactés par Transfert au sujet du jeu, le service de presse américain d’IBM a choisi de ne pas faire de commentaire et celui de Microsoft ne nous a pas fait parvenir de réponse.
Le caractère brutal du Challenge est pleinement assumé par le syndicat. "Oui, le ton est volontairement dur, affirme mike Blain, car la manière dont les employeurs traitent leurs salariés est de plus en plus brutale. Les vies et les emplois de centaines de milliers de travailleurs américains des nouvelles technologies sont en ce moment même détruits car les firmes américaines se débarrassent sciemment d’employés loyaux et hautement qualifiés, dans leur quête de marges de profit toujours plus élevées et des salaires les plus bas possibles sur terre."
Alerte aux délocalisations
Washtech mène actuellement campagne sur le danger que représente pour les salariés américains le recours à la sous-traitance délocalisée dans le secteur high-tech. "Nous avons lancé un appel au Congrès pour qu’une enquête parlementaire soit menée sur le développement de cette tendance et ses conséquences pour les employés américains, les états et les communautés locales", explique Mike Blain.
Pour étayer ses arguments, Washtech cite une étude de Forrester Research parue en novembre 2002. Selon ce document, 3,6 millions d’emplois américains liés aux services seront délocalisés sur les quinze prochaines années, principalement vers l’Inde, la Russie ou la Chine. Un million de ces postes concernerait les nouvelles technologies.
"Ce phénomène est en expansion rapide. Il ne s’agit pas simplement d’une récesssion conjoncturelle de l’industrie high-tech américaine, estime Mike Blain. Beaucoup de ces jobs sont perdus et ne reviendront jamais aux Etats-Unis. Cela a un impact grandissant sur des centaines de milliers de salariés américains diplômés et hautement qualifiés qui se retrouvent au chômage. Cela va devenir un problème politique dans ce pays et nous espérons que ce sera l’une des questions-clés dans les élections présidentielles et législatives de 2004."