Ciblée pour les expatriés japonais, TVBrick risque de ravir tout le monde. Sauf les chaînes
Avec TVBrick, la télévision n’a dorénavant plus de frontières. Cette boîte, pas plus grosse qu’un livre, se branche au poste de télévision et retransmet le flux d’images sur l’internet. Lancée par la petite société française Nexedi, TVBrick permet à son propriétaire de voir ses chaînes de télé depuis n’importe quel ordinateur connecté au haut débit, comme à la maison. Nexedi dit cibler prioritairement le marché japonais mais a déjà des commandes internationales. Fondée sur des logiciels libres, cette petite boîte pourrait bientôt faire du bruit.
Une vue arrière de l’OpenBrick de Nexedi, qui est le même boîtier que la TVBrick (DR)
La société Nexedi, située près de Lille, a démarré la commercialisation de TVBrick le 7 juillet 2003. Jean-Paul Smets, son dirigeant, également auteur du livre Logiciels libres : liberté, égalité, business, compte vendre "entre 100 et 1000 unités" de sa nouveauté cette année.
Pour envoyer le flux d’images avec TVBrick, il suffit d’intercaler le dispositif entre son poste de télévision et sa connexion internet haut-débit (ADSL ou câble). L’heureux propriétaire pourra alors suivre toutes ses émissions préférées sur un ordinateur connecté à internet, même lorsqu’il est en voyage à l’autre bout du globe.
TVBrick capte en effet le signal analogique de la télévision et le numérise, avant de l’envoyer en streaming vers l’ordinateur. Les images ne sont donc pas stockées.
Nexedi a prévu que ses clients puissent regarder leurs émissions à distance sur un ordinateur, mais aussi sur un autre poste de télévision, grâce à au dispositif additionnel TVBrick Player. Il s’agit en fait d’un deuxième boîtier similaire, au même prix, mais qui décode les signaux numériques en signaux analogiques. "C’est le mode de visionnage que les gens préfèrent, note Jean-Paul Smets. Mais je ne sais pas pourquoi..."
Pour les riches et les patriotes aigüs
Spécialiste de l’open source, Nexedi s’était fait connaître par son produit ERP5, un ERP (progiciel de gestion intégré) pour petites entreprises diffusé sous licence GPL, la licence des logiciels libres. La petite société du Nord a également sorti précédemment OpenBrick, une plateforme rassemblant routeur, serveur web, borne internet sans fil wifi et de nombreux applicatifs libres. TVBrick est un dérivé direct d’OpenBrick, un boîtier identique sur lequel ont été installés une série de logiciels libres.
Pour acquérir une TVBrick, l’internaute devra tout de même débourser 950 euros, un prix encore assez élevé.
"Ce produit est intéressant pour les gens fortunés, avec un sens ’national’ aigü et qui résident dans un pays où l’internet est bien développé, précise Jean-Paul Smets. 950 euros représentent au total un investissement raisonnable pour un expatrié". Ces derniers touchent en effet souvent des primes de salaires et sont sujets au mal du pays.
Le schéma expliquant la TVBrick aux Japonais, sur le site de Nexedi (DR)
Pour cible privilégiée, Nexedi a choisi en priorité les Japonais vivant en Europe qui désirent regarder les télévisions nippones. Vues les limites techniques actuelles des connexions internet, Nexedi prévient sur son site que, si le son passe "bien", la qualité des images reçues avec TVBrick correspond à du "sub-VHS", soit de l’ordre de 9 images par seconde (contre 24 sur une vraie télé). "Il faut au moins 512 kbps de débit pour ne pas trop râler, précise Smets. Ce qui est plus facile à obtenir au Japon où les connexions sont plus rapides et les abonnements moins chers."
Marketée en priorité pour les Japonais, avec un site spécial, TVBrick pourrait pourtant rapidement connaître un succès plus international. Son fondateur précise : "Depuis que nous avons lancé ce produit, nous recevons beaucoup de commandes de Suédois ou d’Allemands, en vacances en Espagne."
Garde-fou juridique
En se développant, TVBrick pourrait bien finir par déranger les chaînes de télévision dont elle téléporte gratuitement les images par dessus les frontières. TVBrick piétine-t-il les droits de retransmission ? "Non, se défend Jean-Paul Smets, "la transmission via TVBrick est en conformité avec les droits de retransmission en Europe, hors Royaume-Uni, et au Japon, parce qu’elle est restreinte à la famille.
"Dans ces pays de droit continental, personne ne peut interdire la diffusion à caractère privée, qui est ce que permettent légalement les magnétoscopes ou les enregistreurs de DVD", avance Jean-Paul Smets.
Pour limiter la diffusion à un cercle restreint et prouver que TVBrick n’enfreindra pas les droits, Nexedi a prévu un système de mot de passe, que son propriétaire ne donnera qu’à un nombre limité de personnes, par exemple les membres de sa famille.
Un garde-fou efficace, selon Jean-Paul Smets : "Même si les gens se repassaient les mots de passe, le dispositif serait toujours contraignant. Tous les connectés regardent la même chaîne."
Si les chaînes de télévision décidaient de ne pas s’en prendre à TVBrick, cela serait aussi en raison des limites techniques du dispositif, dont la qualité d’image reste encore pauvre. Le fondateur de Nexedi rappelle : "Actuellement, seules deux personnes peuvent se connecter en même temps. Sinon, la diffusion est affreuse."
"TVBrick n’a pas été conçu pour contourner les lois, mais pour décupler les moyens de visionnage aux membres de la famille. Chaque foyer continuera à payer pour recevoir les programmes télé", martèle Jean-Paul Smets.
Pour éviter les ennuis en cas de détournement de TVBrick pour un usage illégal comme la diffusion de contenus "piratés" sur le réseau, Nexedi a pris les devants : "Nous avertissons nos utilisateurs des risques qu’ils encourent pour des usages frauduleux. Et nous ne vendons pas dans les pays de droit commun, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni". La conception du fair use, un usage "acceptable" qui s’apparente à la liberté de conserver des copies privées en Europe, y reste en effet fluctuante.
Un choix très prudent et courageux car, comme le précise Jean-Paul Smets, "il y a beaucoup de commandes de TVBrick en provenance des Etats-Unis. En nombre de commandes, ils arrivent en deuxième position, juste après les Suédois."
TVBrick est une belle nouveauté qui a de grandes chances de s’étendre, à mesure que les débits de connexions internet augmenteront et que les internautes informaticiens développeront de nouvelles applications pour cette petite machine, à partir des logiciels fournis par Nexedi. Tous en open source, ils peuvent être modifiés et améliorés à l’envi.