Le 17e congrès annuel du Chaos Computer Club se clot aujourd’hui à Berlin. Depuis que son porte parole, Andy Müller, a été élu responsable européen à l’ICANN en octobre 2000, comment le collectif de hackers allemands gère-t-il sa crise de croissance ?
Andy Müller-MaguhnDR |
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Explicit Lyrics : 3 jours sur la technologie, la société et l’utopie." Le Congrès annuel du Chaos Computer Club, le collectif de hackers allemands, est un événement unique au monde. Pour la 17e édition, qui s’est tenue du 27 au 29 décembre au sud-est d’un Berlin recouvert de neige, le centre d’exposition Haus am Köllnischen Park a accueilli 2 500 personnes venues exercer leur art de vivre. Ironiquement placé à 2 300 deutsche mark (environ 10 000 francs), le tarif d’entrée pour les acteurs de la nouvelle économie résume bien le débat qui anime les inventeurs du bordel organisé : comment garder son identité de groupe marginal d’avant-garde quand son porte-parole, Andy Müller-Maguhn, représente l’Europe à l’Icann (Internet Coporation for Assigned Names and Numbers), que la reconnaissance du Club vire au consensuel et que l’on regroupe la crème des ingénieurs informatiques ?
Grosse détente
Ekke du CCC Transfert |
Le cru 2000 du Congrès est encore plus pluridisciplinaire que les précédents. Pour les habitués, l’ambiance est aussi plus détendue qu’elle ne l’a jamais été. Sous les grandes lampes zébrées suspendues dans les couloirs, des jeunes encapuchés tentent de recoller les morceaux d’une nuit en pièces détachées. "
Tout est devenu plus normal, plus évident. On ne s’attend plus à voir la police débarquer à tout moment et la parano a disparu", se félicite Ekke, membre du Chaos depuis 14 ans. Au milieu des quatre grandes salles de conférences, le patio exhibe un monolithe noir de 4 mètres de haut. Concocté par la section "Art et Beauté", l’intrigant dolmen futuriste produit un son continu, qui se fait de plus en plus fort et aigu à mesure que l’on s’approche. C’est en fait un clin d’œil aux fans de science-fiction, qui auront reconnu l’allusion à la dernière scène de
2001, l’odyssée de l’espace, diffusé jeudi soir dans la grande salle devant pour 200 personnes enfumées et ravies.
Toujours plus ?
Plus gigantesque et consensuel que jamais, le Congrès cristallise pour certains les paradoxes d’un Club qui a fait accepter l’image du hacker utile et sympa, d’une culture adolescente en train d’atteindre l’âge de raison. Signe des temps, les populations autrefois exclues, les femmes et les journalistes, n’ont cette année pas à se plaindre, chacun disposant d’une salle attitrée. Parmi les purs et durs, nostalgiques de l’underground, l’Américain chevelu Bill SF, un vieux loup du hacking réfugié à Amterdam depuis 1989 "pour éviter les ennuis", regrette les Congrès des années 1980, "beaucoup plus conviviaux, parce que tout le monde se connaissait". Très internationale, la grand-messe du Chaos ne serait pourtant pas à la hauteur de ses ambitions européennes. "En Hollande, nous faisons nos conventions en anglais, ici tout est en allemand", ironise le jeune hacker-entrepreneur Tim Time Waster. Extrême comme toujours, l’activiste autrichienne Lizvlx, à la fin de sa conférence sur les canulars en ligne, est allée encore plus loin : "Je ne peux m’empêcher de ne me sentir entourée que de gens sympas avec des ordinateurs portables très chers." Dans la salle, la multitude d’assistants personnels dernier cri ou la montre qui prend des photos, fraîchement importée du Japon, ne la feront pas mentir. "Toujours plus" serait donc la nouvelle devise du Club ? La démonstration technique est en effet impressionnante : le réseau, sponsorisé par Cisco et Microsoft, offre, dans une vingtaine de pièces, des milliers de connexions internes et Internet ; les conférences sont retransmises sur des télés avant d’être livrées en différé sur le Net ; une radio MP3 assure l’animation en live, etc. Emmanuel Goldstein, fondateur du webzine culte 2 600 et organisateur de la grande convention du hacking américaine H2K, ne cache pas sa surprise : "Nous serions incapables d’organiser un truc pareil."
Vers plus de social
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Durant toutes ces années, nous avons appris comment organiser des manifestations de hackers. Maintenant, nous avons appris à les organiser de façon élégante", résume Wau Holland, un gros barbu original qui fait partie des quelques fondateurs du Club. Le Congrès reste un paradis pour hackers, selon Ekkke : "
Pour les vrais nerds, ceux qui sont asociaux et ont de sérieux problèmes de communication, c’est le lieu idéal pour faire des rencontres." Les poids lourds du Club, Tim et l’incontournable Andy Müller-Maguhn semblent très fiers d’avoir fait du groupe ce qu’il est aujourd’hui : un interlocuteur obligé pour les nouvelles technologies en Allemagne, voire en Europe. Cette nouvelle responsabilité se ressent dans le sérieux des présentations, toutes d’une qualité frappante : sécurité, surveillance des télécommunications, avenir du droit d’auteur et financement des artistes, logiciel libre et société libre ne sont que quelques-uns des thèmes abordés dans les présentations publiques, toutes suivies avec assiduité. Attendus au tournant, les Chaotiques doivent délivrer des messages compréhensibles du grand public mais assez radicaux pour satisfaire la base pure et dure. Légendaire dans le milieu, Stefan Wernery, porte parole du Club jusqu’en 1990, y veille et "
espère que le Club s’éloignera de plus en plus de la technique pour aller vers le social et la politique". Dans cette optique, le 17e Congrès aura été un bon terrain d’entraînement.