Sihem Bensedrine, directrice du magazine tunisien en ligne Kalima et militante des droits de l’homme, a été arrêtée et écrouée mardi 26 juin dans une prison de Tunis.
Mardi 26 juin à 10 h 30 (heure locale), la journaliste et porte-parole du CNLT (Conseil national pour les libertés en Tunisie) Sihem Bensedrine a été arrêtée à l’aéroport de Tunis-Carthage à sa descente d’avion en provenance de Marseille. Selon un communiqué de presse diffusé par le CRLDHT (Comite pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie), la journaliste a fait l’objet d’une procédure en diffamation émanant d’un magistrat tunisien, suite à des propos tenus dans une émission diffusée sur la chaîne arabe Al Mustaquilla, le 17 juin dernier. Elle y évoquait notamment la corruption en Tunisie.
" Elle a simplement rapporté sur un plateau de télévision lors d’une émission à Londres les propos d’un magistrat tunisien lors d’une audience publique. Ce magistrat disait clairement qu’il ne reconnaissait pas la présomption d’innocence " confie Emmanuelle Distria avocate du CNLT et présente au moment de l’arrestation de la journaliste à Tunis. Selon l’avocate du CNLT, l’émission diffusée par Satellite aurait connu un vif succès en Tunisie en réunissant près de 9 millions de téléspectateurs. " Comme souvent en Tunisie, le pouvoir a monté un dossier afin de porter atteinte aux défenseurs des libertés en Tunisie. Je pense qu’ils ont fait une grosse erreur en incarcérant Sihem Bensedrine... " explique Emmanuelle Distria.
Depuis plusieurs années, Sihem Bensedrine milite pour le respect des droits de l’homme en Tunisie, dénonçant inlassablement les dérives du régime policier du président Ben Ali. En décembre 2000, elle a lancé sur la Toile le magazine Kalima, pour lequel collabore notamment le journaliste Taoufik Ben Brik. Dans une interview publiée dans le numéro 14 du magazine Transfert, à l’occasion d’une visite à Paris, Sihem Bensedrine évoquait son combat et le rôle d’Internet dans son action pour l’avènement de la démocratie en Tunisie.
Lire l’interview de Sihem Bensedrine publiée dans le n°14 de Transfert Magazine
Pourquoi avoir lancé Kalima sur Internet ?
En Tunisie, il existe un régime de déclaration préalable des périodiques au ministère de l’intérieur. Qui délivre un récépissé indispensable à l’impression du journal. Je n’ai jamais reçu de réponse... Dans ce contexte, le net est très important. Sans Internet, je n’aurais pas pu lancer le magazine. Pour éviter les pressions de l’ATCE [Agence tunisienne de communication extérieure] sur les hébergeurs, nous sommes hébergés avec le concours de Reporters sans frontières.
Le président Tunisien mène depuis quelques années une politique volontariste en matière de développement de l’Internet. Et pourtant la censure y est omniprésente ?
Cela est révélateur de la schizophrénie du régime de Ben Ali. Vous savez, le discours officiel de Ben Ali, en matière des droits de l’homme c’est un peu : "plus droits de l’homme que moi tu meurs". D’ailleurs la Tunisie a signé des conventions sur le respect des droits de l’homme. La réalité est tout autre. Dans les commissariats, on torture ?avec la déclaration des droits de l’homme affichée sur les murs. L’état Tunisien développe Internet afin de se donner des apparences de modernité. Alors qu’il mène un combat d’arrière-garde en censurant et surveillant la toile. Vous ne consultez que ce qu’ils veulent ?
Comment se passe la gestion quotidienne de votre magazine en ligne ?
C’est très difficile. Les deux providers tunisiens, Globalnet et Planet [contrôlés par Ben Ali, NDRL] verrouillent les adresses FTP qui permettent de transférer des fichiers sur la toile. C’est un outil indispensable pour actualiser un site. Les communications électroniques sont régulièrement écoutées et interceptées. Ma ligne téléphonique est fréquemment coupée. Mais je garde espoir car une partie de la jeunesse tunisienne s’est approprié Internet. Ces jeunes sortent des méthodes des politiques et structures classiques de protestation, ils ont choisi leur propre voie. Et savent comment faire face à une dictature ?