Un cyber-squatteur récidiviste a acquis tourdefrance.com pour en faire un site porno allemand. La société du Tour tente de récupérer le nom.
L’un des sites de la grande Boucle propose un "Sex Tour" spectaculaire : pour 12 francs la minute, les amateurs peuvent se rincer l’œil sur des webcams façon cabinet de gynécologue, solarium, godemichés, femmes enceintes ou transsexuels. Le frottement des cuisses de surhommes dans des shorts en lycra ne ferait-il plus recette ? En fait, le nom de domaine tourdefrance.com appartient, depuis le 26 septembre 2000, à un certain M. Garcia, domicilié aux îles Canaries. Ce monsieur a pu déposer ce nom à la faveur d’un fâcheux "oubli" : "On se l’est fait piquer", résume simplement Florence Cochoy, la directrice juridique de la société Amaury Sport Organisation (ASO), qui gère le Tour et son site officiel, letour.fr. ASO n’a pas renouvelé cette adresse dans les délais nécessaires et l’opportun M. Garcia s’en est emparé. Tourdefrance.com est aujourd’hui un site porno en langue allemande.
Re-belote
Ironie du sort, ASO s’était déjà battu, pendant un ou deux ans, pour récupérer tourdefrance.com qui avait été déposé par un particulier américain. " Suite à nos lettres de mise en demeure, le nom nous a été rendu en 1998", rappelle Florence Cochoy. Aujourd’hui, pour défendre (à nouveau) son image de marque d’ASO, la politique maison est claire : "On ne rachète pas à des voleurs." M. Garcia va donc passer un sale quart d’heure : "Nous avons envoyé une lettre de mise en demeure mais nous ne nous faisons pas trop d’illusion. Une assignation pour contrefaçon et parasitisme est en préparation et devrait partir dans la semaine", annonce Florence Cochoy, habituée de ce genre de procédures. Le groupe Amaury, en plus d’être un groupe de presse dont les fleurons sont Le Parisien et le seul quotidien sportif français L’...quipe, est organisateur de nombreuses manifestations sportives : le Paris-Dakar, le Marathon de Paris, l’Enduro du Touquet, le Paris-Roubaix, une dizaine d’autres "classiques" de vélo, parmi lesquelles le Tour de France. Ceci a pour conséquence des dizaines d’affaires de cybersquatting. Tourdefrance.net appartient, par exemple, à TRB Systems, une société américaine basée dans le New Jersey. Tourdefrance.org a, quant à lui, été déposé par une association sportive... du Sri Lanka. "Les squatters sont des gens qui pensent pourvoir nous revendre nos propres noms de domaine ou des fans qui veulent éditer des sites de soutien à nos épreuves. Quand ils veulent nous faire grimper au cocotier, ils en sont pour leurs frais", assure Florence Cochoy. Face à ce "fléau", la directrice juridique n’est pas inquiète : "France Télévision a obtenu gain de cause pour France2.com et France3.com qui pointaient, eux aussi, vers des sites porno."
Cybersquatter professionnel
Pendant ce temps, Tourdefrance.com reçoit la visite de dizaines de milliers d’internautes, dont certains sont victimes de la méprise. Interrogé par Transfert, le fameux M. Garcia revendique 40 000 visites. L’homme explique ses motivations dans un espagnol supersonique : "J’ai déposé ce nom en toute légalité, parce que je l’aimais bien. Depuis, un éditeur de site porno me l’a loué, en attendant de me l’acheter", se justifie-t-il. Interrogé sur d’éventuels contacts avec la Société du Tour de France, M. Garcia s’énerve : "On dirait que je suis un voleur de noms de domaines ! Je n’utilise pas la marque du Tour de France, ces mots appartiennent au langage courant."
M. Garcia semble, pourtant, un spécialiste de la question. Sous les prénoms Javier, Eladio ou Miguel, il a déposé des centaines de noms de domaine et est bien connu des services de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’institution internationale chargée d’arbitrer les litiges dans ce domaine.
Squatteur tranquille
En mai 2000, l’OMPI lui ordonnait de rendre christian dior.com et .net au parfumeur français. En août 2000, donalgodon.com revenait à la société espagnole Don Algodon ; en mars 2001, fcbayern.com était réattribué au club de football bavarois ; en mai 2001, Audi.net était récupéré par le constructeur automobile. Ce n’est pourtant pas suffisant pour terroriser M. Garcia. "Les arbitrages de l’OMPI ne servent à rien. Il faut des décisions de justice rendues par des tribunaux espagnols", fulmine-t-il. Parmi les noms de domaine "rendus" par l’OMPI, certains pointent en effet encore vers des sites en construction. "Les sociétés d’enregistrement de noms de domaine appliquent en général les décisions rendues entre deux parties relevant du même droit. Si les droits nationaux sont différents et que le défenseur n’est pas présent, c’est parfois plus compliqué", rappelle Sébastien Canevet, juriste spécialiste du droit des nouvelles technologies. Proche du Web indépendant, il se félicite que l’OMPI ait, il y a quelques mois, opéré un revirement de jurisprudence. "Depuis des années, l’OMPI donnait raison aux entreprises plaignantes contre les particuliers dans 90 % des cas. Elle tend aujourd’hui à reconnaître l’interprétation plus souple qui émane d’une directive européenne sur le propriété intellectuelle : s’il n’y a pas de risque de confusion, le défenseur a une chance", résume-t-il.
M. Garcia ne devrait pas bénéficier de cette protection de la liberté d’expression, qui s’applique plutôt aux sites de critique ou de boycott des marques (lire affaire danone). Mais il ne s’en soucie guère et continue à attendre de pied ferme les plaignants : "Pendant des années, les marques ne se sont pas intéressées aux noms de domaine. Aujourd’hui, elles se réveillent et doivent aller au tribunal pour gagner contre les particuliers. Ça va leur prendre dix ans", lance-t-il en défi.