Surveillance : votre physique les intéresse...
La reconnaissance par empreintes ou traits physiques a été débattue lors de la 23e Conférence internationale des Commissaires à la protection des données, organisée par la CNIL, à Paris. La biométrie suscite bien des réticences.
De la reconnaissance des visages à l’empreinte digitale, la surveillance biométrique représente un marché qui pourrait s’avérer fort lucratif dans les années à venir. Mais dans le même temps, elle questionne le respect de la vie privée des individus et pourrait s’exercer au détriment de ce droit fondamental. Voilà pourquoi, la table ronde, réunie le lundi 24 septembre dans le cadre de la conférence internationale de la CNIL, mettait face-à-face des défenseurs de la vie privée et des représentants de la sécurité et de l’industrie biométrique (1).
La justification sécuritaire
La technologie a, bien sûr, ses défenseurs. Et la sécurité est l’un des secteurs où la biométrie a le plus de chance de s’épanouir. Robert Lack, le responsable de la sécurité de la ville de Newham (Grande-Bretagne) était présent pour appuyer cette thèse et présenter son expérience. Cette banlieue de Londres utilise un logiciel de reconnaissance des visages associé à un système de vidéosurveillance pour les personnes recherchées par la police. "Ce moyen nous a permis de faire baisser considérablement - de plus de 20 % - la délinquance dans ce quartier populaire. C’est une pratique très bien acceptée par le public qui a été averti de la présence des caméras. L’impact sur les centres commerciaux est très efficace, les gens vont faire leurs courses sans avoir peur", justifie le responsable de la sécurité. Si Robert Lack comprend les craintes que peut susciter l’utilisation d’un tel système, il assure qu’il est nécessaire que "le public continue à en ressentir les bienfaits".
Un segment de marché lucratif ?
Une argumentation que le Français Bernard Didier ne contredira pas. Le directeur du "business development" de la Sagem était présent pour vanter les produits de son entreprise. Après une présentation des qualités essentielles de l’outil biométrique (efficacité et fiabilité de la reconnaissance), des terminaux conçus par la Sagem et des principaux chiffres du marché, Bernard Didier, a plaidé pour une régulation de l’usage de la biométrie. "C’est un segment de marché avec peu de visibilité financière. Nous avons besoin d’un cadre juridique pour définir les conditions d’utilisation de cette technique", a expliqué le directeur. En effet, limité par un cadre juridique très protecteur concernant la vie privée et la protection des données personnelles, le recours à des procédés de reconnaissance biométrique tarde à se développer en Europe. Les entreprises du secteur espèrent donc trouver dans la mise en place d’une régulation spécifique, les moyens de développer leur marché.
Régulation nécessaire voire souhaitable ?
Le souhait d’une régulation entourant l’utilisation des procédés biométriques est également partagé par les commissaires de la protection des données personnelles... Mais sans doute pas pour les mêmes raisons. La protection de la vie privée prime en effet sur le désir de faire prospérer un marché. "Les commissaires sont forcés de reconnaître l’existence d’une nouvelle technique et de réfléchir à en encadrer l’usage pour mieux préserver nos renseignements personnels", assure la Canadienne Jennifer-Anne Stoddart, présidente de la commission d’accès à l’information du Québec. Cette même commission planche actuellement sur la loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en juin 2001. Cette loi reconnaît la possibilité d’utiliser des modes d’authentification de l’identité et prévoit même l’éventualité de la création d’une banque de données biométriques. Dans ce cas, il appartiendra à la commission d’en déterminer les contours et le champ d’application... Voire l’interdiction si celle-ci ne respecte pas les recommandations qui lui sont faites et porte atteinte au respect de la vie privée. Malgré ces bonnes intentions, l’éventualité d’une évolution progressive du recours à la biométrie inquiète Myriem Marzouki, présidente de l’association IRIS. "Le recours à de tels systèmes n’est pas crucial et, a bien des égards, disproportionné par rapport aux dérives que cela peut entraîner : la discrimination sociale, raciale et les dangers de l’interconnexion des fichiers, etc. Je pense que la reconnaissance des visages devrait être tout simplement proscrite."
Objectif : le respect de la vie privée
Sans appeler à interdire ces techniques, Jennifer-Anne Stoddart assure que le respect de la vie privée sera toujours l’objectif essentiel du travail des commissions. Et la présidente s’interroge déjà sur d’autres problématiques. "Les technologies de surveillance ne sont plus l’apanage de la police, des pouvoirs publics ou encore des entreprises. Les moyens de surveillance sont désormais à la portée de tous. Comme ces parents qui disposent de mini caméras pour surveiller la baby-sitter de leurs enfants. Est-ce une extension de notre vie privée de nous surveiller nous-mêmes ou une atteinte à la vie privée ? Où s’arrête le voyeurisme ? Y a-t-il un rôle de la réglementation dans ce cas ? Devons-nous poser de nouvelles balises ? Ce sont des problématiques que je pose sans avoir trouvé de réponse."
(1)Les intervenants de la table-ronde :
Jennifer-Anne Stoddart, présidente de la Commission d’accès à l’information du Québec
Robert Lack, responsable de la sécurité de la ville de Newham
Bernard Didier, directeur du business development de la Sagem
Myriem Marzouki, présidente de l’association IRIS
Absence de deux intervenants américains :
Joseph Attick, le directeur général de Visionics, une société américaine, conceptrice d’un logiciel de reconnaissance des visages, et de son contradicteur, Barry Steinhardt, directeur adjoint de l’American Civil Liberties Union, une organisation de défense des libertés civiles. Ce dernier a été remplacé par Myriem Marzouki.