Trois organisations syndicales - le Syndicat national des enseignements de second degré (Snes), la Fédération syndicale unitaire (FSU) et l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) - ont assigné en référé l’association la Droite libre, pour avoir incité des militants de l’Union pour un mouvement populaire à bombarder les adresses mails de responsables syndicaux de messages de protestation contre les grèves (lire De jeunes loups de l’UMP bombardent de mails les responsables syndicaux). L’audience doit se tenir mercredi 21 mai à 16 h au Tribunal de grande instance (TGI) de Paris.
Dans sa newsletter du 13 mai, la Droite libre, un regroupement de militants UMP présidé par Rachid Kaci, ancien candidat à la présidence du parti chiraquien, appelait ses abonnés à manifester leur mécontentement face aux grèves de la fonction publique en envoyant un texte à une quarantaine d’adresses mail d’organisations et de responsables syndicaux, dont Marc Blondel, le secrétaire général de Force ouvrière. Slogan de l’opération : "Ils bloquent la France, bloquons leurs mails !"
50 000 mails pour le Snes
"Le mercredi 14 mai au matin, nous avons découvert dans certaines boites mail des centaines de messages identiques. En cliquant sur un lien, nous avons vu que c’était à l’instigation de la Droite libre", raconte Luc Muller, secrétaire national du Snes.
Le syndicat enseignant a aussitôt alerté ses avocats et engagé un huissier pour constater cet afflux massif de courriers. "Au 20 mai, nous en étions à 50 000 mails reçus, d’après le compteur que nous avons installé", poursuit Luc Muller. Ce qui, compte tenu de la quarantaine d’adresses diffusées par la Droite libre, pourrait signifier que près de deux millions de mails ont été envoyés.
Le 16 mai, le Snes, la FSU et l’Unsa ont donc déposé une assignation en référé contre la Droite libre devant le TGI de Paris, pour qu’il soit mis fin sans attendre à ce "trouble manifestement illicite et faire cesser le dommage". L’UMP est elle-même citée dans la requête puisque son logo figure sur le site de la Droite libre. Outre l’arrêt de la diffusion du message et la suppression de ce dernier sur le site de l’association de Rachid Kaci, les organisations demandent la publication de l’ordonnance dans trois quotidiens et le paiement de provisions et des frais de justice engagés.
Entraver l’expression syndicale
Mais quelle que soit l’issue de l’audience de ce jour, le Snes se réserve le droit de porter plainte pour "atteinte aux systèmes automatisés de données" et "entrave caractérisée aux libertés syndicales et au droit de grève".
L’article 323-2 du code pénal stipule que "le fait d’entraver ou de fausser le fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 500 euros d’amende."
"Pour nous, cette action est clairement hors-la-loi, juge Luc Muller. Entraver la communication électronique entre des responsables syndicaux et les adhérents, empêcher la diffusion de mots d’ordre lors d’un mouvement de grève, c’est empêcher le fonctionnement et l’expression d’un syndicat. C’est comme payer des nervis pour arracher des affiches dans une entreprise."
Pour la Droite libre, qui se fait fort d’avoir des méthodes de communication politique "modernes", ce procès est presque vu comme une aubaine : "Nous allons à nouveau rebondir grâce au Snes et à la FSU qui ont eu la bonne idée de poursuivre Rachid Kaci et la Droite Libre en justice", indiquent ses responsables dans un mail envoyé sur la liste de discussion "net-campagne".
L’association assure attendre l’audience de référé avec calme. "Nous avons arrêté l’opération. La dernière page qui y faisait référence sur le site a été enlevée, explique Arnaud Dassier, secrétaire général de la Droite libre. Maintenant, l’email est dans la nature. Si des gens continuent à l’envoyer en enlevant l’en-tête de la Droite libre, nous n’y pouvons rien, c’est de la propagation virale !"
Coup de pub interne
Et une possible action au pénal ? "Il ne faudrait pas qu’ils poussent le bouchon trop loin, sinon ça leur reviendra en pleine figure, prévient Arnaud Dassier. S’ils ont le ridicule d’attaquer des gens qui ont bloqué leurs boites mail une journée alors qu’ils bloquent les écoles depuis des semaines, la population appréciera..."
De toute façon, la Droite libre, qui souhaite être reconnue comme un courant officiel de l’UMP lors du prochain congrès, admet avoir atteint le principal objectif de cette opération : faire parler d’elle parmi les militants chiraquiens. "J’ai vu que nos amis de l’UMP nous avaient emboîté le pas en lançant une pétition contre les boycotts d’examen. Cela prouve qu’on peut les faire bouger. Notre opération a eu un vrai succès auprès du noyau dur des militants UMP. Lorsqu’on leur propose une action concrète de soutien au gouvernement et de protestation contre les grèves, cela permet d’évacuer la frustration."
Lancée lundi 19 mai, la pétition de l’UMP contre le boycott des examens par certains enseignants grévistes aurait déjà recueilli, selon ses initiateurs, près de 45 000 signatures. "Cette action est distincte sur le fond comme sur la forme de l’initiative de la Droite libre, explique Antoine Emeury, responsable du site internet de l’UMP. Nous avons observé l’opération de Rachid Kaci, sans la cautionner. A titre personnel, je considère qu’elle présente un caractère un peu discutable, tant sur les plans moral et éthique que juridique."