Les autorités russes et françaises auraient "gonflé" certains faits qui lui sont reprochés
Joël Sambuis, cerveau présumé du site sos-racaille.org, dispose désormais d’un site web. Sambuis.ru propose, en russe et en (mauvais) français, les différents communiqués précédemment publiés sur kniazev.ru, le site de son avocat. S’il n’apporte aucun élément nouveau à l’affaire le visant en tant que membre actif de ce réseau raciste et islamophobe, Sambuis y conteste par contre la "violente campagne de diffamation" lancée par les médias français à son encontre. Certains éléments à charge, relayés par la presse - Transfert compris - auraient été gonflés par les polices russes et françaises. Si le ministère de la Justice français maintient un "black-out" complet sur cette affaire, qualifiée de "sensible" par l’Intérieur, l’étau se resserre néanmoins autour de Joël Sambuis.
Joël Sambuis devrait prochainement être jugé en Russie pour avoir utilisé un faux passeport russe, d’après une dépêche AFP parue le 14 octobre. Il devrait ensuite être extradé vers la France afin de purger une peine de prison de cinq ans pour escroquerie bancaire (il avait été condamné en 2001 mais il était alors en cavale). Enfin, il risque d’être touché par les enquêtes actuellement instruites par les autorités françaises, autour de la nébuleuse de sites d’extrême droite Liberty-web, dont Sos-racaille fait partie (voir notre dossier).
Paradoxalement, l’inculpation de Sambuis en Russie représente une victoire pour lui : il cherche à tout prix à rester en Russie, au point d’y avoir déposé une demande d’asile politique.
Plutôt mourir en Russie
Selon Sambuis, "depuis 20 ans, la France est colonisée par les immigrés afro-arabes", ainsi qu’il l’écrit sur son nouveau site. Il refuse de revenir en France, qu’il qualifie de "pays totalitaire", au motif que les autorités voudraient le "condamner pour (ses) idées politiques". Celui que l’on soupçonne d’être l’un des cerveaux de Sos-Racaille écrit : "Je suis, malgré mon emprisonnement, un homme LIBRE de choisir de mourir en Russie plutôt que de retourner en France".
Contrairement à ce qu’avançait l’Agence France Presse (AFP) le 14 octobre, Joël Sambuis ne reconnaît toujours pas être le responsable des sites sos-racaille.org et aipj.net -qui servait de plateforme d’information ultrasioniste de la nébuleuse. Le premier site est désormais enregistré au nom de Mouloud Aounit, président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap). Un pied de nez à l’encontre des auteurs du rapport de l’association antiraciste sur Sos-racaille, intitulé : "Naissance d’une nouvelle extrême droite sur Internet". Aipj.net a été racheté par un "cybersquatteur" américain.
Sur son site, Sambuis dénonce également la "violente campagne de diffamation" qui aurait, selon lui, été menée par les médias français après son arrestation. Il écrit : "Cette campagne de mensonges, dirigée par le gouvernement francais, n’a pour but que de me faire extrader en France pour m’y condamner pour mes opinions politiques". Il conteste trois points relatés dans la presse française, semble-t-il à raison.
Pas "néo-nazi", mais "paramilitaire d’extrême droite"
Sambuis conteste le qualificatif de "néo-nazi", accolé à son nom dans la presse. Début août, Transfert avait effectivement rapporté que Sambuis "aurait été radié du Front National en 1985 pour "posture néonazie", avant d’intégrer un groupe paramilitaire informel". Cette information, émanant de deux sources policières, s’avère en partie fausse.
Sambuis a effectivement été condamné, en 1985 à Grenoble, pour sa participation à un groupe paramilitaire effectuant des virées armées dans le Vercors. Il avait alors été condamné, en même temps que l’autre leader de ce groupe, à un an de prison dont 6 mois avec sursis.
Selon un article du Dauphiné Libéré paru à cette époque, Sambuis avait été interpellé en possession d’un pistolet automatique, d’un pistolet-mitrailleur, de munitions, de talkies-walkies et de matériel radio (dont un scanner réglé sur la fréquence utilisée par les gendarmes).
Sambuis avait alors déclaré être en possession de ces armes en raison de sa participation au service d’ordre du Front National. L’association des termes "paramilitaire" et "extrême-droite" aurait ainsi été hâtivement raccourcie au qualificatif de "néo-nazi" par nos interlocuteurs du ministère de l’Intérieur.
Ce raccourci a d’ailleurs été repris, par Le Monde ou l’AFP, à propos de Sos-racaille et Liberty-web. Pourtant, comme l’indiquait le rapport du Mrap, cette nébuleuse réussissait justement le tour de force de réunir des membres de l’extrême droite sioniste et des nationalistes européens. Etre à la fois pro-sioniste et "néo-nazi" semble pour le moins improbable.
Pas FN, RPR
Sur son site, Sambuis entend régler un troisième compte avec la presse : il conteste son appartenance au Front National rapportée dans différents médias. "Le seul Parti politique ou j’ai milité a été le RPR, Rassemblement Pour la Republique, de 1978 a 1986", affirme-t-il.
Selon le site altermedia.info->, plateforme d’information ouverte aux divers courants de l’extrême-droite, c’est de l’Uni (Union nationale interuniversitaire) que Sambuis était membre. Il aurait été l’un des responsables grenoblois de ce syndicat étudiant proche du RPR.
Présenté comme un "militant très actif", notamment dans les services d’ordre du mouvement gaulliste, il se serait alors rapproché d’anciens membres du fameux "SAC" (Service d’action civique). "Par anticommunisme", il aurait également sympathisé avec les nationalistes grenoblois, mais n’aurait jamais été membre d’aucun mouvement d’extrême droite. "A cette époque, c’était surtout un gaulliste convaincu", résume altermedia.info.
Comme l’indiquait Transfert dans un article précédent, le FN n’avait pas trouvé trace de Sambuis dans ses fichiers. Contactée, l’UMP n’a quant à elle pas été en mesure de retrouver trace de Sambuis, les archives du RPR n’étant, semble-t-il, plus accessibles. L’UNI précise pour sa part ne pas le connaître, et rappelle que sa section locale grenobloise n’a été créée qu’en 1989.
Quelle qu’ait été la ferveur de Joël Sambuis pour le mouvement gaulliste, il qualifie aujourd’hui Jacques Chirac d’"escroc protégé par l’immunité présidentielle" et de "President qui COLLABORE TRES ACTIVEMENT A L’ISLAMISATION DE LA FRANCE" (c’est lui qui souligne, Ndlr)...
Des escroqueries sur-estimées
Joël Sambuis conteste également le montant des escroqueries dont il est accusé. La presse moscovite, citant les polices russes et françaises, l’avait alors chiffré à 12 millions d’euros, avançant qu’il serait poursuivi en France pour 13 chefs d’inculpation, notamment pour avoir soutenu et financé des "groupes extrêmistes".
Transfert a interrogé le ministère de la Justice à ce sujet le 30 juillet dernier. Malgré un grand nombre de relances téléphoniques, nous n’avons, à ce jour, reçu aucune précision, ni sur les accusations dont il fait l’objet, ni sur le montant total des escroqueries qui lui sont imputées. Le ministère de la Justice refuse ostensiblement et sans explication, de communiquer sur ce dossier.
Une source proche du dossier avance cela dit aujourd’hui que le montant en question a été "gonflé aux amphétamines" par la police et les médias russes, qui auraient cherché à faire mousser l’affaire.
On sait peu de chose sur les faits reprochés à Sambuis. Tout juste sait-on que sa dernière condamnation à 5 ans de prison, le 24 avril 2001 à Grenoble dans le cadre d’une escroquerie bancaire, alors qu’il était déjà en cavale, était assortie d’une amende de 100 000 francs et de 10 000 francs (environ 1500 euros) de dommages et intérêts à verser au GIE Carte Bancaire.
Un représentant du GIE Carte Bancaire qualifie Sambuis de "vieille connaissance". Sambuis avait en effet tenté de faire chanter le GIE, le menaçant de révéler à TF1 certains problèmes de sécurité liés à la CB. Interrogé par Transfert, il précise toutefois que Sambuis est "bête comme un âne" d’un point de vue technique. "L’expert" n’aurait jamais réussi qu’à réencoder les pistes magnétiques de cartes bancaires, une opération techniquement peu difficile.
Tant du côté du GIE Carte Bancaire que des autorités, ceux qui ont rencontré Sambuis le qualifient d’emblée de "mégalo et parano". Mais tous reconnaissent aussi qu’il est doté d’un réel charisme, ainsi que d’une grande force de persuasion et de manipulation.
Sur la trace du "Caméléon"
Sur son site, Sambuis avance n’avoir commis aucun crime ou délit depuis son arrivée en Russie. Il affirme que ses revenus ne provenaient que de son ancienne société grenobloise et du site Moscowkiosk.com, enregistré au nom de sa femme.
Moscowkiosk.com propose une série de produits et de services destinés aux expatriés et aux étrangers à Moscou : aide à l’obtention de visas, location d’appartements ou de places de théâtre, livraison de fleurs et autres cadeaux, briquets frappés à l’effigie de Lenine ou encore flasques arborant le logo... du KGB.
Selon le quotidien L’Humanité, Sambuis était propriétaire, à Moscou, d’un appartement estimé à 500 000 dollars. Quand il a été arrêté, il était en possession de 20 000 dollars en liquide. Un train de vie difficile à tenir avec une simple boutique en ligne, soulignent les autorités interrogées à ce sujet.
Si Sambuis nie être impliqué dans l’affaire de la nébuleuse Liberty-web, le forum de moscowkiosk.com repose pourtant sur le même logiciel que celui qui équipait feu sos-racaille.org, à la couleur près. Or, ce n’est pas un programme disponible publiquement. Il a été développé tout spécialement par un certain "Dolphi", membre de la nébuleuse.
En tout cas, selon une source proche de l’enquête, Sambuis n’aurait pas été interpellé en raison de son éventuelle participation à Sos-racaille, mais bien parce qu’il était en cavale et recherché pour ses précédentes escroqueries à la carte bancaire.
L’implication de Sambuis dans cameleon.org n’est pas non plus avérée, pour l’instant. Ce site, qui fournissait des conseils aux internautes pour rester anonyme sur l’internet, est considéré comme l’un des coeurs de la nébuleuse.
Sambuis, dont le surnom était "caméléon", a cela dit reconnu être à l’origine du site lecameleon.com, spécialisé dans la revente de faux papiers, de comptes bancaires, internet ou téléphoniques anonymes. Il devra à ce titre répondre de deux plaintes émanant de journalistes qu’il avait escroqué.
Qui a menacé Chirac de mort ?
Comme le rapportait récemment Le Monde, Sambuis a de plus commis l’erreur d’utiliser plusieurs fois la même adresse e-mail, plop740@mail.ru, ce qui a permis de remonter jusqu’à lui et d’attester de son implication dans la gestion de liberty-web.net, le prestataire technique de la nébuleuse Sos-racaille.
En effet, il s’avère qu’il s’en est servi pour ouvrir un compte sur les serveurs de l’université libre de Berlin. Avec ce compte, il a effectué des usurpations d’identité, a posté des messages liés à Sos-racaille, des petites annonces sur le site Moscowkiosk, et a participé à une liste de discussion d’expatriés en Russie.
Aujourd’hui, l’enquête se poursuit. L’ordinateur de Sambuis a été ramené à Paris. Son contenu doit y être étudié et déchiffré (Sambuis l’aurait en effet "codé", selon L’Humanité). Et une dizaine de gardes à vue aurait été effectuée ces derniers mois, à l’initiative de la section antiterroriste de la brigade criminelle de la préfecture de police de Paris, chargée du versant "politique" de cette affaire.
L’enquête porte notamment sur la revendication de menaces de mort à l’encontre de Jacques Chirac.
Le Canard Enchaîné révélait en effet, fin août, que le procureur de Paris, Yves Bot, a ouvert le 29 juillet une information contre X "pour association de malfaiteurs et menaces de mort sur le président de la République". 150 policiers au total auraient ainsi été mobilisés sur la piste des "têtes brûlées" de l’extrême-droite anti-musulmane.
Sambuis, qui a déjà été interrogé sur les escroqueries qui lui sont imputées, devrait prochainement être entendu par les policiers chargés du versant "politique" de l’affaire.