Le corps décapité retrouvé, le 2 novembre 2000 près du village de Tarachtcha (60 km à l’est de Kiev) est, selon le procureur général du pays, " à 99, 64 % " celui de Géorgiy Gongadze, fondateur et rédacteur en chef du journal en ligne Ukrainskaïa Pravda. Agé de 31 ans, il avait disparu sur le chemin de son domicile, le 16 septembre. Son journal, très critique envers le pouvoir, se targue d’être le " premier journal ukrainien d’opposition publié uniquement sur l’Internet ". Fondé au printemps 2000, Ukrainskaïa Pravda s’était rapidement imposé auprès des internautes locaux par le style incisif de ses articles. " C’est une façon d’exercer librement notre métier même si dans l’Ukraine d’aujourd’hui cela est pratiquement impossible ", écrivait Géorgiy Gongadze lors du lancement du site. Durant les mois précédant sa disparition, le journaliste avait dénoncé à plusieurs reprises les menaces dont il faisait l’objet. Il aurait été pris en filature par les services secrets (SBU). Ses amis et ses proches ont été interrogés par la police qui prétendait enquêter sur un meurtre survenu à Odessa... En juillet 2000, Géorgiy Gongadz s’est même adressé au procureur général d’Ukraine, Mihail Potebenko, pour dénoncer ces actions " d’intimidation préméditée pour äluiã faire peur, ou empêcher äsesã activités ".
Devant l’inertie de la justice, une commission d’enquête parlementaire sur la disparition de Géorgiy Gongadze est créée quelques semaines après la disparition du journaliste. Certains de ses membres confient avoir été intimidés, voire menacés par des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Le cas de Géorgiy Gongadze prend la dimension d’une affaire d’Etat avec la révélation, le 28 novembre 2000, par l’un des chefs de l’opposition, d’enregistrements censés avoir été réalisés, par un officier des services secrets, dans le bureau du président Leonid Koutchma lors de conversations entre le Président et plusieurs hauts responsables. Différents moyens de se " débarrasser " de Géorgiy Gongadze sont évoqués sur les bandes. Dans l’une de ces conversations, un interlocuteur présenté comme pouvant être le ministre de l’Intérieur, Iouri Kravtchenko, assure qu’il disposerait de gens capables de remplir cette mission. Il les décrit comme " de vrais aigles (...) prêts à tout ". La présidence dénonce une manipulation de l’opposition qui demande, pour sa part, une expertise du document sonore.
Dans une déclaration devant le parlement ukrainien, le 10 janvier 2001, le procureur général, Mihail Potebenko, affirme qu’après expertise l’enregistrement n’a pas pu être effectué dans les conditions décrites par l’officier des services secrets à l’origine de la divulgation des bandes. Des morceaux d’enregistrements distincts auraient été accolés et la qualité insuffisante du document sonore expertisé (une copie de l’original) ne permettrait pas d’identifier la voix des protagonistes.
Du 5 au 12 janvier 2001, Reporters sans frontières a mené une mission d’investigation à Kiev sur l’enlèvement et l’assassinat de Géorgiy Gongadze. Après avoir rencontré de nombreuses personnes (famille, amis, experts, juges, juristes et journalistes) ainsi que des représentants des autorités, dont le président Léonid Koutchma, et des fonctionnaires en charge de l’enquête, l’organisation a conclu que le journaliste a bien été assassiné à cause de ses activités professionnelles et a constaté de graves manquements dans le travail des autorités judiciaires dans cette affaire.
Le 15 septembre 2000, le journaliste d’investigation Oleg Yeltsov, dont l’un des articles venait d’être publié par le journal en ligne de Géorgiy Gongadze, est également menacé. Il témoigne : " A 20 heures, un inconnu m’a appelé pour me dire : "Arrête d’écrire sur le site Internet, et de travailler sur les services de sécurité. Tu gênes des gens importants." Le journaliste venait de publier sur le site russe, Free lance bureau, un dossier consacré à la corruption des autorités ukrainiennes dont des extraits avaient été repris par Ukrainskaïa pravda. Le lendemain, qui est aussi le jour de la disparition de Géorgiy Gongadze, Oleg Yeltsov est harcelé par la police : " A 16 heures, je prenais un train pour la Russie pour rendre visite à mon père. À l’arrêt du train à la gare de Kaniv, trois fonctionnaires de police en civil sont entrés dans le wagon où j’avais ma place réservée, et ont annoncé "Nous cherchons Yeltsov." Ils ont fouillé mes affaires, puis m’ont laissé partir. J’ai été fouillé une nouvelle fois au poste frontière avec la Russie, par des policiers qui m’ont avoué avoir été prévenus de mon arrivée ".
Fiche technique :
Population : 50,8 millions
PIB par habitant et par an : 3 194 dollars
Population urbaine : 67,9 %
Fournisseurs d’accès à Internet : plus d’une centaine
Internautes : 200 000
Même si le réseau téléphonique s’est largement développé dans le pays depuis 1992, l’Ukraine reste à la traîne des autres pays d’Europe centrale et orientale en matière d’Internet. Il n’y aurait que 200 000 internautes, soit 0,4 % de la population. Les tarifs de connexion sont trop élevés pour la population. Et le report constant de la privatisation d’UkrNet, l’opérateur national des télécommunications, empêche l’arrivée de nouveaux concurrents et donc une baisse des prix.