Le web est grand et les "panels", ces groupes de consommateurs–tests mis en place par les sociétés de mesure d’audience, peinent à en révéler toutes les facettes. Un cauchemar statistico-démographique.
En France, Nielsen dispose du plus vaste panel d’audience d’Internet : environ 8000 personnes - appelées "panélistes", avec un "l" ou deux, au choix - qui reçoivent une rémunération modique en échange de l’ouverture totale de leur navigateur web aux statisticiens de l’institut de sondage. "L’offre de consommation" disponible sur Internet, le nombre fantastique de sites qui sont à la portée de l’utilisateur, fait de la toile l’un des objets statistiques les plus instables et les plus complexes à analyser. Un cauchemar de démographe.
8000 panelistes de 2 ans et plus, donc, du côté du joint-venture Nielsen//NetRatings-Médiamétrie, pour décrypter et interpréter les comportements et les habitudes de consommation de tous les internautes français (8,15 millions selon le panel susdit, 6,8 millions selon celui de NetValue). A comparer avec les 75 000 auditeurs-radio qui répondent (en tournante) à l’enquête téléphonique quotidienne de Médiamétrie, fournissant la mesure de l’audience sur les dernières 24 heures des principales stations hexagonales. On le remarquera, "l’offre de consommation" de la radio française est sensiblement inférieure à celle d’Internet.
Et l’internaute au bureau ?
Le business de Nielsen//NetRatings-Médiamétrie consiste à vendre, sous forme de rapports périodiques, l’information recueillie auprès de ses 8000 panélistes : aux pédégés des sites d’e-commerce, qui s’en servent pour épater leurs actionnaires ; aux dits actionnaires, qui s’en servent pour mettre en doute ce que leur racontent les patrons qui travaillent pour eux ; aux publicitaires, enfin, pour rasséréner les patrons et les actionnaires. Léger problème, ni les rapports de Nielsen//NetRatings-Médiamétrie, ni ceux des deux autres panels d’audience d’Internet français ( NetValue et MMXI) ne tiennent compte de l’utilisation faite du Web sur le lieu de travail. Seul MMXI s’est risqué à annoncer, en avril 2000, la constitution d’un "panel travail". Un "panel travail", c’est le même nombre de paramètres démographiques qu’un panel normal, mais avec en plus le lieu de travail, le type de société et sa taille, le tout représentatif de la population française, ça va de soi. En plus, la recherche des panélistes nécessaires suppose d’affronter quelques directeurs informatiques, qui n’ont pas forcément envie que l’on farfouille dans les machines de leurs collègues. En novembre, MMXI avait l’ambition de trouver 800 panélistes "du bureau". Le panel n’est pas prêt, et l’on raconte ici et là que l’institut de sondage n’aurait jusqu’ici convaincu qu’environ 400 personnes. Charitable et sobre, Bernard Ochs, vice-président de NetValue et concurrent direct de MMXI, commente : "Nous avons de sérieux doutes quant à la fiabilité d’un panel travail." Et sur un panel Internet classique ?
Scepticisme dans la pub
Dans le secteur de la pub, qui compte parmi les principaux débouchés pour les instituts de sondages en ligne, on rencontre beaucoup de scepticisme à l’égard des instituts de sondages en ligne. Daniela Hochgesand est responsable marketing chez MPG-Media Contacts, une importante centrale d’achat d’espaces publicitaires (lien vers papier pub). Elle affirme : "Tous les panels Internet français ont leurs propres biais, et ils sont importants." Elle précise tout de même que ce sont "de bons outils pour avoir une vue globale du marché." Le point de vue d’Antoine Tartière, directeur de OOLM (lien idem) (une autre centrale d’achat, plus petite que Media Contacts) est beaucoup moins tempéré. Pour lui, ce n’est pas vraiment la qualité du travail réalisé par les statisticiens qui pose problème, "c’est juste qu’aujourd’hui, les données dont ils disposent sont beaucoup trop pauvres pour permettre d’analyser sérieusement la fréquentation d’un site, même à 5 % prêt." Le jeune publicitaire prétend ne "jamais" utiliser les données des panels pour construire les plans médias de ses clients. Il plaisante, en précisant que dans la pub, ceux qui les utilisent sont "des charlots." Sans aller jusque-là…