Pour Nike, ”exploiteur” c’est de l’argot...
Lorsqu’un étudiant américain demande à Nike de graver sur ses chaussures que la marque exploite des enfants, ça ne passe pas. En France, le Collectif de l’éthique sur l’étiquette pointe du doigt les distributeurs de marques de sport, tout aussi peu regardant que les fabricants. Marie Dorigny, auteur de la photo parue dans
Life et qui a lancé la polémique autour de Nike,
témoigne dans Transfert.
"Je
ne peux pas faire beaucoup plus que ces photos" |
Interview de Marie Dorigny, auteur de la photo parue dans Life et qui a lancé
la polémique autour de Nike |
Jonah H Peretti est étudiant au MIT. En janvier, sur Internet, il a commandé des Nike. Celles que l’on peut personnaliser. Lui a choisi d’apposer sur le cuir de ses chaussures le mot
sweatshop. Définition du
Robert & Collins : "Atelier dans lequel la main d’œuvre est exploitée." Jonah achète des chaussures fabriquées par des gosses : il veut qu’on le sache. Nike a refusé sa demande. L’échange d’e-mail entre le service de personnalisation de la marque de chaussures et l’étudiant américain est publié sur un site perso, une sorte de carnet intime décalé. Et c’est édifiant. Nike justifie tout d’abord son choix, dans un courrier bref et sec. "
Votre ordre a été annulé pour l’une ou plusieurs de ces raisons." Suivent les quatre points qui entraînent une fin de non recevoir : une autre marque, le nom d’un athlète ou d’une équipe non sponsorisée par Nike, un blanc, une insulte ou un argot inapproprié.
Vietnamienne de dix ans
 DR |
Jonah rétorque immédiatement : sa demande ne rentre pas dans ces catégories. Il réitère donc son offre. Tout en précisant que son choix n’a rien d’anodin : "
En choisissant ce mot, je voulais rappeler le travail des enfants qui ont fabriqué mes chaussures."
La réponse de Nike ne se fait pas attendre. Si, si, lui explique t-on, votre choix rentre dans la case "argot". Jonah ne se démonte pas et dément non sans humour. "Après avoir consulté le dictionnaire, j’ai découvert que sweatshop est en fait un mot anglais standard et pas de l’argot." Il demande à la marque de respecter sa liberté d’expression.
Quand on se connecte au site nikeid.nike.com, le service qui permet de personnaliser ses chaussures, les slogans fleurissent. "Make your marks". "About freedom to choose and freedom to express who you are". La marque est friande de ce type de formules. Elle a construit son image autour de sportifs noirs, nés pauvres, autour d’une virgule et d’une seule phrase "Just do it". Mais ne supporte pas qu’on lui rappelle qui fabrique les ballons de foot et les chaussures de cuir portées par des millions de gamins européens et américains.
À cette dernière requête de Jonah, Nike ne laisse plus de porte ouverte : "Nous ne pouvons honorer toutes les commandes. Certaines ont un contenu qui nous semble inapproprié ou que nous ne voulons pas voir associé à nos produits. Malheureusement, parfois cela nous oblige à décliner des demandes qui semblent correctes."
Le mot de la fin revient à l’étudiant américain qui remercie la marque pour le temps et l’énergie dépensés. "J’ai décidé, écrit-il, de faire une autre demande, mais j’ai un service à vous demander. Pourriez-vous, s’il vous plaît, m’envoyer un photo couleur de la petite vietnamienne de dix ans qui a fait mes chaussures ? Merci."
Beaucoup
de bruit pour rien |
En
France depuis cinq ans, le Collectif Ethique pour l’étiquette
sensibilise les consommateurs sur les conditions de fabrication des objets
qu’ils achètent. La question Nike les intéresse, mais
indirectement. Le collectif n’interpelle pas le fabricant de chaussures,
il fait pression sur les distributeurs d’équipements sportifs
en France. "Nous avons commencé en 1998 pendant la Coupe du
monde, en lançant la campagne "Jouez le jeu, faîtes gagner
les droits de l’homme". La Fédération des professionnels
du sport - à l’époque Fédération
nationale des articles de sport et de loisirs - a signé
un code de conduite. Mais depuis, silence radio", explique Coralie
Hermeloup, responsable de campagne. Sur le site web du collectif, coordonné
par l’Association Artisans du monde, un carnet de notes suit l’évolution
des déclarations d’intention des chaînes. Et la Fédération
des Professionnels du sport est épinglée. On peut lire :
"...lève bavard mais peu travailleur. En 1998, la FPS avait
médiatisé son engagement. Beaucoup de bruit pour peu de chose
étant donné la minceur du bilan, 2 ans après..."
Pendant ce temps, 250 millions d’enfants travaillent.
Adresse du carnet de routes :
http://www.crc-conso.com/etic/carnetde.htm |