Sjoera Nas est porte-parole et responsable des partenariats idéologiques de XS4ALL, le plus ancien et le plus indépendant des providers néerlandais (25 000 homepages, 10 000 sites d’entreprises, 110 employés, 30 millions de couronnes de CA en 1999).
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Quelle est la spécificité de XS4ALL en tant que provider ?
Nous avons toujours revendiqué une base idéologique : l’information est libre, pour tous. Nous soutenons donc ceux qui défendent ce principe. Nous sponsorisons des sites comme B92, la dernière radio libre de Belgrade, en leur fournissant tous les moyens techniques pour émettre sur Internet. Nous avons également retransmis en direct (en streaming) les débats au Tribunal pénal international à La Haye, pour qu’ils puissent être suivis dans les Balkans. En soutenant le site domovina.net, nous montrons que le combat contre la censure fonctionne dans les deux sens : depuis ou vers les pays menacés. Nous avons plusieurs modes de partenariat. Nous avons accordé plus de 1000 comptes gratuits à divers projets engagés. Nous avons également fourni des machines et une assistance technique illimitée à contrast.org, qui abrite une vingtaine d’organisations menacées par la censure (Forces armées révolutionnaires de Colombie, EHJ, un magazine électronique basque pro-ETA, Hillsborough Justice Campaign...). Nous hébergeons également l’agence de presse du Kurdistan, le lobby pour la libération de Mumia Abu-Jamal ou le site anti-Mac Donald’s, Mc Spotlight, censuré au Royaume-Uni. Enfin, nous comptons également des organismes de lutte contre le sida, qui ne sont toujours pas libres de s’exprimer dans certains pays. Pour le service grand public, les fournisseurs d’accès gratuits apparus récemment font un meilleur travail que nous, mais nous nous considérons comme un media d’échange. Notre politique de confidentialité des données et de sécurité est par exemple très stricte. Nous proposons à tous nos clients un pack de logiciels pour communiquer de façon anonyme sur Internet. Gratuit pendant quatre mois, il coûte 99 dollars par an et utilise, entre autres, Freedom, développé au Canada par Zero Knowledge. Le pack est une sorte de pseudonyme numérique qui permet de surfer, d’envoyer des e-mails et d’héberger des informations de façon anonyme. Par contre, nous ne faisons ni webdesign, ni de bases de données. Notre métier, c’est la technologie, pas le contenu : accès par modem, ADSL, WAP...
Votre indépendance est-elle menacée ?
Jusqu’ici, nous avons réussi à empêcher le gouvernement de nous menacer directement, grâce à une organisation qui regroupe presque tous les providers néerlandais. En Hollande, nous vivons selon le fameux " modèle du polder ", qui veut que l’on recherche toujours le consensus, même si cela nécessite des réunions sans fin. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour considérer les fournisseurs d’accès comme des postiers, ce qui limite notre responsabilité et préserve un droit au secret. Le problème, c’est qu’en compensation de ce régime libéral, le ministère de l’Intérieur s’est arrogé des pouvoirs d’investigation et d’écoutes virtuellement illimités. Une affaire a d’ailleurs récemment éveillé des soupçons : les dirigeants d’une société ont été arrêtés pour avoir fait du commerce avec l’Iran. On pense que cela n’a été possible qu’en écoutant leurs conversations téléphoniques et en filtrant leurs e-mails.
En fait, nous sommes en sursis. Depuis décembre 1998, la nouvelle loi des télécommunications prévoit que les providers doivent installer des boîtes noires pour permettre aux services de police de filtrer le trafic si un juge l’ordonne. Ce système ne marche pas encore, car le cadre légal n’est pas encore en vigueur. Nous sommes donc dans un système ridicule, qui nous oblige légalement à envoyer des comptes rendus aux autorités tous les six mois alors que rien ne fonctionne encore. Mais si la loi est mise en application, normalement le 15 avril 2001 au plus tard, nous n’aurons pas d’autre choix que d’installer une boîte noire. Nous nous sommes déjà opposés au gouvernement lors du vote de la loi sur les écoutes téléphoniques en 1997. L’affaire a duré deux ans et a fait beaucoup de bruit. Nous avons eu finalement gain de cause en 1999. Cette fois-ci, nous ne pouvons plus rien faire.
Quels sont vos projets ?
Depuis fin juillet 2000, nous suivons de très près les premiers tests de Publius, un projet américain d’hébergement totalement anonyme. Nous sommes en contact avec l’équipe qui le développe pour les laboratoires de recherche chez l’opérateur AT&T, notamment Lorrie Cranor (voir interview), que je rencontre dans des conférences. Sur XS4ALL, nous aurons bientôt le site de Publius hébergé en miroir. Le principe, qui reprend celui de l’onion routing (littéralement " routage en pelures d’oignons " : les paquets d’informations sont découpés pour le transport, puis reconstitués à l’arrivée par le serveur), nous paraît porteur de nombreux espoirs.
Nous préparons également la troisième édition de Hackers-at-large (HAL), pour août 2001. Nous voulons réunir dans cette convention tout ce que le monde compte de techniciens de la défense des libertés : hébergeurs, associations, hackers... Nous avons plus que jamais besoin de tisser des liens internationaux, car nous sommes tous confrontés à des problèmes similaires. La première édition de HAL avait réuni 600 personnes en 1993, la deuxième 2000 en 1997. Cette fois-ci, nous attendons plus de 3000 participants. Nous nous appuyons sur le réseau qui fréquente les conventions de hackers, le Chaos Computer Club allemand (voir interview), privacy.org en Angleterre ou Usenix aux ...tats-Unis. D’ailleurs, nous cherchons actuellement des contacts en France, avec laquelle nous avons moins de liens.