La Chine se félicite de voir son parc de voitures doubler d’ici à 2008, année des futurs jeux olympiques de Pékin. Avec seulement 15 millions de véhicules pour 1,3 milliard d’habitants, c’est peu dire que le marché automobile chinois a tout l’avenir devant lui.
Comme tous les gouvernements lancés dans la course à l’industrialisation, Pékin considère la voiture comme l’une de ses plus prometteuses sources de croissance économique future. Mais le jour où la Chine atteindra un taux de motorisation modeste, équivalent à celui de l’Europe de l’Est (environ 30 voitures pour 100 habitants), elle consommera autant d’essence que l’Arabie Saoudite en produit chaque année !
De tous les problèmes soulevés par la recherche d’un développement durable, celui des transports est de loin le plus inquiétant. Les données sont simples : d’un côté, un trafic qui ne cesse de croître, levier essentiel de la croissance, et de l’autre, des réserves pétrolières dont on commence à apercevoir les limites.
Equation insoluble
La conjoncture économique récente a prouvé que le volume des transports croît à peu près deux fois plus vite que le PIB. Avec une croissance économique mondiale de 4 % (son niveau actuel) engendrant 7 % d’augmentation annuelle des transports, le trafic mondial sera peut-être trente fois plus important qu’aujourd’hui en 2050.
En soi, une telle multiplication a déjà de quoi faire frémir. Mais si on la rapporte aux pronostics sur les réserves en hydrocarbures, l’équation qui en découle semble carrément insoluble. C’est toute la question de la "mobilité durable", nouveau concept à la mode, de chez Michelin au MIT.
Les analyses convergent pour prédire un maximum puis un déclin de la production d’hydrocarbures à partir de 2020. Jean-Marc Jancovici, un ingénieur-conseil spécialiste des questions énergétiques, rapporte sur son site un calcul édifiant. Avec 3 % de croissance mondiale annuelle, il suffira de moins de cinquante ans pour épuiser toutes les réserves prouvées en énergies fossiles (pétrole, mais aussi gaz naturel et charbon).
La fin de l’abondance
Que se passera-t-il au-delà de cette échéance ? Les experts débattent encore ferme pour évaluer ce qu’il restera alors sur Terre de "réserves additionnelles supposées" en hydrocarbures. Seule certitude : d’ici là, l’essence sera devenue une énergie bien plus rare, et donc beaucoup plus chère qu’aujourd’hui. Plus génératrice de conflits, aussi... Selon Jean-Claude Jancovici, nommé par Matignon président du comité consultatif du débat national sur l’énergie. : "L’abondance énergétique prendra fin avec les énergies fossiles", ce qui signifie (entre autres) la fin de "la faculté de se déplacer vite, à volonté et pour pas cher", annonce l’ingénieur.
Un exemple : l’avion. Sur un vol aller-retour Paris - New York, chaque passager "consomme" entre 700 et 1 000 litres de carburant, soit à peu près autant qu’un automobiliste en un an. Depuis près d’une décennie, le trafic aérien se développe à un rythme supérieur à 5 % par an. La démocratisation de l’avion (dont n’a profité jusqu’ici que 4% de la population mondiale) a-t-elle une chance de durer ? Les émissions de CO2 engendrées par les seuls vols internationaux équivalaient en 1992 à celles de toute la Grande-Bretagne. En 2050, elles pourraient représenter une fois et demie la quantité de CO2 produite aujourd’hui par les Etats-Unis, soit plus du tiers des émissions mondiales. La question est si préoccupante qu’en 1999, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a publié un rapport exclusivement consacré à l’avion.
Touche pas à ma bagnole
Les transports sont déjà le principal souci de la France dans sa lutte contre le réchauffement climatique. Entre 1990 et 2001, les émissions de CO2 dues aux transports ont augmenté de 26,2 %, soit 90 % de toutes les émissions supplémentaires au cours de la période. Si cette tendance se poursuit, "la France dépassera de 10 % son plafond d’émission de CO2 fixé dans le cadre du protocole de Kyoto", reconnaissait en novembre 2002 Dominique Dron, présidente de la Mission interministérielle de l’effet de serre (Mies). Et même à moyen terme, aucun mode de propulsion "propre" n’est prêt à prendre la place des moteurs thermiques.
La France s’est engagée à ne pas augmenter ses émissions de CO2 d’ici à 2012, par rapport au niveau atteint en 1990. Afin de redresser la barre, la Mies compte avant tout sur la cogénération et sur les énergies renouvelables. Mais pour l’automobile, aucune mesure nouvelle n’est annoncée. Depuis septembre 2001 et l’abandon du projet d’écotaxe par le gouvernement Jospin, le pouvoir politique a renoncé à endiguer les dégagements de gaz carbonique des voitures. "L’automobile est bien trop vitale pour l’économie. Personne n’ose plus faire face au problème", s’inquiète Raphaëlle Gauthier, de l’association Réseau action climat France
Depuis les années soixante, le parc automobile français a été multiplié par cinq. Dans le même temps, la distance moyenne pour se rendre sur son lieu de travail a doublé. Il y a aujourd’hui 28 millions d’automobiles en France et les constructeurs tablent sur un quasi triplement de ce parc d’ici aux années 2020.
Alors que sur la scène internationale, la France fait partie des pays les plus pugnaces en matière de lutte contre les effets de serre, la route demeure presque partout le premier poste budgétaire des contrats de plan Etat-régions. Entre 1992 et 1997, la surface du territoire national allouée aux routes et aux parkings a cru de 6,5 %, contre -4,8 % pour les prairies, d’après les chiffres de l’Institut français de l’environnement. "Quand l’automobile va, tout va", dit le vieil adage des économistes. Pendant combien de temps encore ?