Nicolas Monmarché, 30 ans, est maître de conférences au département informatique de l’Ecole polytechnique de l’université de Tours. Il est aussi membre du laboratoire d’informatique de l’université de Tours, hébergé par le département d’informatique de Polytech’Tours. Depuis 1997, en compagnie de Gilles Venturini et Mohamed Slimane, il travaille sur les fourmis artificielles : des agents informatiques "intelligents", capables de générer automatiquement de la musique ou de la peinture. Il est d’ailleurs l’auteur d’une thèse sur le sujet : "Algorithmes de fourmis artificielles : applications à la classification et à l’optimisation" (décembre 2000). Il présente son activité, qu’il a également présentée récemment lors du colloque h2ptm organisé à l’université de Paris VIII Saint-Denis.
Un exemple de toile patiemment composée par les fourmis peintres de Nicolas Monmarché (DR)
Qu’est-ce qu’une fourmi artistique ?
Nicolas Monmarché : Une fourmi artistique est une fourmi artificielle. Elle peut par exemple imiter le comportement d’une vraie fourmi en train de rechercher ou d’exploiter des sources de nourriture. Elle nous sert à construire un outil qui génère de l’art numérique. Il existe en fait deux types de fourmis artistiques : les peintres et les musiciennes.
Comment agissent vos fourmis artificielles musiciennes ?
Dans le cas des fourmis musiciennes, notre outil informatique construit un graphe, composé de sommets et d’arêtes. Chaque sommet correspond à une note, différente selon sa hauteur, sa durée, son volume. Chaque arête correspond à la transition entre deux notes. Les fourmis, en se déplaçant d’un sommet à l’autre, créent ainsi chacune leur mélodie.
Dans la nature, les fourmis déposent sur leur passage une substance chimique spécifique, appelée phéromone. Ici, de la même manière, les fourmis artificielles vont à chaque transition déposer des phéromones, qui seront utilisées pour marquer leur chemin. Plus il y a de phéromones sur un arc donné, plus il y aura de fourmis attirées par cette transition. Le processus produit une mélodie par répétition de séquences qui peuvent être facilement mémorisées par l’homme. Mais comme les phéromones s’évaporent avec le temps, la mélodie évolue constamment.
Et les fourmis peintres ?
Les fourmis peintres, quant à elles, se déplacent sur une image composée de pixels. Au lieu de déposer des phéromones, elles déposent des couleurs. On peut attribuer à chaque fourmi une couleur à déposer, mais aussi une couleur à suivre, de la même manière que dans la nature les fourmis peuvent être attirées par une phéromone spécifique. Le mouvement des fourmis peintres est le plus réaliste possible. On le contrôle par des probabilités. La peinture obtenue, abstraite, est aussi dynamique : le coloriage évolue dans le temps et des phénomènes de compétition peuvent apparaître entre des fourmis.
Comment est né votre projet ?
Les fourmis artificielles sont apparues au début des années 1990. L’idée était de s’inspirer du comportement collectif des fourmis : les fourmis artificielles sont des agents. A plusieurs, elles arrivent à résoudre des problèmes informatiques qu’elles ne pourraient pas résoudre toutes seules, notamment des problèmes d’optimisation globale. Cela fait une dizaine d’années que des équipes de recherche travaillent là-dessus, surtout en Europe.
Au Laboratoire d’informatique de l’université de Tours, nous travaillons depuis 1997 sur les fourmis artificielles. Nous avons d’abord planché sur des problèmes informatiques classiques d’optimisation et de classification supervisée. Et, parallèlement, nous avons commencé à faire quelques essais de génération de musique par des fourmis artificielles. Au début, nous avons composé de la musique dodécaphonique, en attribuant à chaque fourmi un son particulier. Plus récemment, nous nous sommes intéressés à la génération de sons Midi, ce qui nous permet d’utiliser des instruments classiques tout en améliorant la qualité du rendu sonore.
La génération de peintures est plus récente. Nous en avons eu l’idée après avoir utilisé des fourmis artificielles pour détecter des contours dans une image sur laquelle elles se déplaçaient. Recourir à des fourmis représente pour nous un intérêt pédagogique évident, même si l’aspect artistique n’est qu’une façon imagée de présenter notre travail. Les gens comprennent tout de suite de quoi il s’agit, dès lors qu’ils voient un point se déplacer sur un écran et y laisser des traces.
Quelle pourrait être l’utilité pratique des fourmis artistiques ?
On peut imaginer beaucoup d’applications possibles, en plus du simple plaisir pris à les regarder évoluer. Par exemple, on pourrait imaginer qu’un fabricant d’ascenseur désire équiper ses produits d’une musique qui soit générée indéfiniment, toujours différente.
S’agissant de la peinture, nous envisageons de permettre aux gens d’aller sur Internet construire leur peinture afin d’en faire un tirage photographique, ou pour créer un fond d’écran attrayant et unique. En tout cas, toutes les personnes à qui je montre le produit des fourmis peintres sont en général fascinées.
Quels sont vos axes de recherche pour l’avenir ?
Pour les fourmis musiciennes, nous voudrions réussir à harmoniser les mélodies créées. Pour l’instant, chacune des fourmis crée sa propre mélodie, indépendamment des autres instruments.
Surtout, nous voudrions développer la marge de manoeuvre laissée au créateur. Pour l’instant, les systèmes que nous avons construits sont presque autosuffisants : il n’y a rien besoin de faire. La peinture, par exemple, est à chaque fois différente, mais on ne peut pas agir dessus. Or nous voudrions pouvoir prendre en compte les désirs de la personne qui regarde, lui permettre de choisir ce qui lui plaît le plus. Pour cela, nous créons des "algorithmes génétiques interactifs" : une personne choisit ce qui lui plaît dans le travail réalisé, et, à partir de cela, nous créons une nouvelle génération de peintures. De proche en proche, au bout de plusieurs générations, on peut espérer que les paramètres du système soient tels que celui-ci génère ce que les utilisateurs désirent.
"Les fourmis, reines du réseau" (Transfert):
http://www.transfert.net/a7300
Page sur les fourmis artificielles (en anglais):
http://www.antsearch.univ-tours.fr/...
Page sur les fourmis artistiques (en anglais):
http://www.antsearch.univ-tours.fr/...
Page sur les peintures de fourmis (en français):
http://nicolas.monmarche.free.fr/Ex...
Le colloque scientifique h2ptm veut "créer du sens à l’ère numérique" (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a9314