Grégory Chatonsky a 28 ans, il est artiste sur Internet. Revenances.net, son dernier bébé, raconte la mort sur le Réseau. Un travail présenté à la Biennale d’art de Montréal jusqu’à fin octobre.
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Il a les cheveux coupés ras, un petit sourire coincé aux bouts des lèvres et les bras qui s’agitent beaucoup. Des mots choisis et une pensée ciselée. Grégory Chatonsky a 28 ans, il crée sur le Net. Jusqu’à la fin octobre, revenances.net, son dernier travail en collaboration avec Reynald Drouhin, est présenté à la Biennale d’art de Montréal. Grégory résume simplement cette réalisation : "
C’est l’histoire d’un homme qui rejoint le monde des morts. Il entend une voix, celle d’une femme. Cette femme raconte la mort de cet homme et leur séparation." Sans clic, sans barre de navigation, juste l’intuition et la souris qui glisse. Sorte d’errance dans un univers glauque, sombre et ralenti. "
Le site est lent, l’internaute n’y vient pas pour gagner quelque chose. L’idée, c’est de ralentir pour qu’il y ait non pas de la vitesse mais du temps." Un problème quand même : naviguer sur Revenances requiert un ordinateur puissant, beaucoup de mémoire vive et de nombreux plugs-in... Grégory se justifie : "
Je propose des choses expérimentales, avec beaucoup de son et de vidéo. Disons que j’anticipe l’augmentation du débit. J’ai envie de tester ce qui ne fait pas ailleurs et de réaliser des sites qui ne ressemblent pas aux autres."
Salles d’archives et photos vieillies
Cyber-artiste ? le jeune homme aux allures de gamin refuse le terme et s’embarque dans une démonstration. "Déjà le mot artiste, je le considère comme trop connoté, centre d’un enjeu énorme. Cela suppose une identification de l’œuvre à la personne. Cyber-artiste, c’est presque pire. Un fourre-tout monumental." Il s’arrête, s’excuserait presque et finit par lancer : "J’aime le mot technologie. ...tymologiquement, cela signifie réflexion sur la technique." Une définition juste de son parcours. Enfant, c’était le passage au Louvre toutes les semaines, la fascination pour l’art égyptien et l’envie d’être peintre. Plus tard, des études de philo. Les bras croisés, le sourire ironique, il balance : "Une manière d’aller du côté de l’ennemi." Une belle envie d’y rester, mais une réflexion d’un de ses profs le pousse de l’autre côté : "L’art, c’est plus rigolo." Pourtant, les thèmes choisis par Grégory ne tirent pas vers l’amusant. Son premier travail, un cédérom sur la déportation sorti en 1998, l’a amené du côté des salles d’archives et des photos vieillies dans des lieux marqués. Pologne, Israël, Londres. "Parce que je n’avais pas connu certaines personnes de ma famille. Mais aussi parce que c’est une histoire familiale qui devient générale. Cette question de l’extermination des juifs et des tsiganes, je me la posais constamment. Ce cédérom a été comme un préliminaire à l’ensemble de mon travail."
Moteur de recherche pour pages inaccessibles
Questions de mémoire et de mort. Lorsqu’il travaillait sur ce cédérom, un ami lui a dit : "On n’en a rien à faire. Il faut aller de l’avant." Grégory secoue la tête : "Je suis sûr du contraire. Je crois qu’on ne peut pas comprendre ce qui se passe sans avoir le passé à l’esprit. On ne peut pas comprendre le travail en usine sans s’intéresser au travail à la chaîne du début du siècle." Peut-être l’explication d’un projet qui tourne dans sa tête. Créer un moteur de recherche qui recenserait toutes les pages inaccessibles. Pages flottantes, perdues. Peut-être une manière de ne pas oublier et de laisser une trace de l’Internet en cette fin de XXe siècle.