Annoncée en fin de semaine dernière, la taxation des CD et DVD soulève déjà un torrent de questions et protestations. S’il est légitime de protéger les droits d’auteur lorsque l’on parle de musique (par exemple), il semble plus douteux de taxer la gravure des logiciels libres, ou encore les disques durs...
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En 1985, Jack Lang faisait passer une loi visant à rémunérer les auteurs, producteurs et artistes par le biais d’une taxe prélevée sur tout support permettant la copie privée (en l’occurrence, les cassettes audio et vidéo). Depuis quelques mois, une commission planchait sur l’adaptation de cette protection de la propriété intellectuelle aux CD, DVD et autres supports d’enregistrements numériques. Alors que la tendance "dure" allait jusqu’à demander 14 F de taxes par CDR (alors même que le prix actuel est de grosso modo 10 F), il en coûtera finalement 3,40 F par CD vierge, et 29,60 F par DVD. Les représentants des sociétés de perception des droits d’auteur, qui composaient la moitié des membres de la commission, se sont montrés les plus inflexibles et ont tous voté pour. Les fabricants ont, quant à eux, tous voté contre. Du côté des associations de consommateurs, seule l’Association des professionnels de la gestion électronique des documents a voté contre. Selon notre confrère 01net, les autres se sont abstenues parce qu’elles désapprouvaient le mode de calcul retenu. Il nous a toutefois été impossible de savoir pourquoi - alors même qu’elles désapprouvaient la méthode - elles n’ont pas voté contre plutôt que de s’abstenir. De même, impossible de joindre un seul partisan de la taxation : tous semblent partis en vacances, au contraire des opposants.
Une taxe sur les disques durs ?
Le pire reste à venir : il est question de taxer d’autres supports de stockage, dont les mémoires flash et même les disques durs ! Ce qui fait hurler un grand nombre d’utilisateurs de graveurs, au point que 01net a même créé trois forums de discussion distincts sur cette nouvelle taxation. Pêle-mêle, les opposants rappellent qu’ils sont nombreux à utiliser des graveurs pour toute autre chose que de la copie de musique ou de vidéo. Il en est ainsi des photographes et autres professionnels, ou des amateurs d’audiovisuel et de multimédia - publicitaires, photograveurs ou imprimeurs - qui se servent des CD pour stocker images, sons, sans parler des spécialistes des bases de données, et utilisent donc des CD pour les "backuper". C’est le cas des utilisateurs de logiciels libres qui, justement, combattent le copyright, encouragent le copyleft (c’est-à-dire la libre circulation des logiciels et fichiers) : pourquoi seraient-ils taxés pour engraisser les éditeurs de disques et autres sociétés du spectacle ou du copyright, alors que leur utilisation de l’informatique se veut "libre" et non "propriétaire". Et que dire de tous ceux qui se servent des CD pour faire des copies de leurs fichiers, ou de leurs logiciels ? Ou encore des éditeurs de logiciels qui, semble-t-il, ne devraient rien toucher de cette taxe alors même que les CD servent aussi à faire des copies privées de programmes. Tous dénoncent cette mainmise des sociétés de perception de droits d’auteur sur l’informatique, un domaine qu’elles semblent mal connaître. Sinon pour avoir compris à quel point ce nouvel eldorado pouvait les engraisser.
Une taxe on ne peut plus opaque
Une pétition a été lancée, elle rappelle, entre autres, que le Syndicat national de l’édition phonographique aurait lui-même reconnu que 20 % des CDR servent à la copie privée de musique et 12 % à la copie illicite... laissant ainsi entendre que 68 % des CDR sont employés pour un usage strictement informatique ! Autre motif de contestation, beaucoup plus troublant, détaillé par notre confrère Libération dans un article au titre révélateur, La cassette des cassettes... : la perception de la taxe de 1985, initialement prévue pour être gérée par le Trésor public, a finalement échu, grâce à un intense travail de lobbying, à la SACEM, via une ribambelle de renvois d’ascenseurs et de sociétés créées par ses collaborateurs mêmes. Depuis 1987, la taxe aurait rapporté rien moins qu’une dizaine de milliards de francs, le tout dans une opacité qui n’a d’égale que celle du code source de Microsoft. Les comptes n’étant ni vérifiés, ni vérifiables : "en raison de sa forme juridique, cette entreprise n’est pas tenue de publier ses comptes", dixit le greffe du tribunal de commerce de Paris. Depuis quelques années, de nombreuses voix se sont élevées pour protester contre l’opacité des sociétés de perception des droits d’auteurs, qui engrangeraient un véritable trésor de guerre sur le dos des artistes.
La commission qui a planché sur le sujet de la taxation des CD-R et DVD a jusqu’à fin mars 2001 pour détailler les procédures de sa répartition, dont le principe, si contesté soit-il, est encouragé par le gouvernement et ne devrait pas être remis en question. Certains se ruent déjà dans les magasins pour faire provision de CD. Reste à savoir si les disques durs seront eux aussi taxés.