Le hacker canadien accusé d’avoir mis à genoux les sites phare de la nouvelle économie en février 2000 passe en jugement. Le procès risque d’être noyé sous une avalanche de données techniques car la preuve est difficile à apporter.
Sans vouloir présumer des connaissances techniques des juges, le procès de Mafiaboy, qui s’ouvre aujourd’hui, risque de s’avérer comique. Ce jeune Canadien est accusé d’être l’auteur, en février 2000, des attaques contre des fleurons de la netéconomie comme Yahoo ! ou eBay. Son défenseur, Me Yan Romanowski, expliquait récemment : "Le procureur aura à prouver premièrement quel est l’acte qui a été commis, comment il a été commis, et après cela, partir de l’endroit où cela a été commis et relier le tout, non seulement à l’adresse où habitait mon client mais aussi démontrer qu’au moment où cela s’est fait, c’était bien mon client qui était derrière la machine et qui a donné les instructions pour lesquelles il est accusé." On peut effectivement s’interroger sur la capacité des autorités policières à récupérer et analyser avec efficacité les milliards de lignes de logs archivées par des centaines d’ordinateurs sur le Réseau. Et surtout, de remonter de l’attaque jusqu’au numéro de téléphone des parents de Mafiaboy. Enfin, il faudra que les magistrats parlent couramment le SNMP, l’UDP, le TCP/IP, ports de communication, Ping et autres Smurf, daemons, masters, zombies, Unix, Solaris, crontabs, trinoo, root, SYN ou nmap... Bon courage ! En attendant, la défense n’a toujours pas annoncé si Mafiaboy plaiderait coupable ou non. S’il plaidait coupable, le procès pourrait ne pas avoir lieu.
Fragilité du Web
L’affaire aura au moins montré la fragilité de la nouvelle économie. En février dernier, les sites de Yahoo !, CNN, eBay, Excite ou encore du courtier en ligne E*Trade étaient demeurés inaccessibles durant plusieurs heures. Tandis que Bill Clinton réunissait une cellule de crise, le grand public découvrait ce que les techniciens savent depuis longtemps : on peut mettre de gros serveurs à genoux avec un petit outil. La technique employée par le ou les pirate(s), dite DDoS (Distributed Denial of Service) - ou flooding - consiste à envoyer un nombre très élevé de requêtes trafiquées au serveur jusqu’à ce qu’il ne puisse plus répondre à la demande. En avril, un jeune Canadien anglophone vivant près de Montréal était arrêté par la Police montée avec l’aide du FBI. Mafiaboy (on ne connaît que son surnom) était présenté comme l’auteur de cette attaque. Un expert informatique avait aidé dans le processus menant à cette arrestation. Mychael Lyle, consultant indépendant pour la société Recourse Technologies s’était fait une belle publicité en annonçant avoir discuté avec l’auteur des floods sur l’IRC (Internet Relay Chat) et l’avoir tracé. Manque de chance, les auteurs du site de hackers 2600.com annonçaient quelques temps plus tard qu’ils s’étaient fait passer pour Mafiaboy et avaient abusé ledit expert. Ce qui n’a pas perturbé outre mesure les autorités policières.
Les chiffres fous, fous, fous...
Il fallait bien trouver un coupable à des attaques ayant entraîné des millions de dollars de dégâts. À l’époque, les chiffres les plus fous ont circulé. On a ainsi vu USA Today parler d’un milliard de dollars de pertes pour les entreprises victimes de cette attaque. Or, si l’on prend le chiffre d’affaires des quatre principaux sites (Yahoo !, eBay, E*Trade et Amazon), on se rend compte que 3 heures d’indisponibilité a pu coûter à ces entreprises 3,2 millions de dollars... Ajoutons 700 000 dollars d’audits informatiques et mises à jour de matériel, on atteint péniblement les 3,9 millions de dollars. Il y a du chemin jusqu’au milliard, comme le précise l’équipe de Kitetoa.com qui avait réalisé ce calcul après la publication des chiffres trimestriels des entreprises victimes.