Aux ...tats-Unis, les syndicalistes de Alliance@IBM luttent pour exister et faire face aux "restructurations" en cours. Nouveaux contextes, nouvelles méthodes.
"All for Lou, none for you !" C’est le mot d’ordre de l’année pour les syndicalistes de Alliance@IBM, qui fustigent les revenus astronomiques de Lou Gerstner, le PDG d’IBM. "Selon une étude récente, les revenus des CEO [PDG] ont bondi de 535 % dans les années 90, pendant que ceux des entreprises ne prenaient que 116 % et ceux des travailleurs seulement 32 %", résume Jimmy Tarlau, un des responsables nationaux d’Alliance@IBM. Si les géants des nouvelles technologies ne se gênent pas pour faire peser leurs difficultés sur les salariés, ces derniers ne se jettent pas pour autant dans les bras des syndicats. "Nous n’avons en fait aucune représentation légale et nous venons même de renoncer à en obtenir une. Il faut faire pression sur la direction par d’autres moyens", reconnaît Jimmy Tarlau, depuis son bureau dans l’...tat de New York. En effet, pour créer un syndicat officiel dans une entreprise américaine, il faut que 30 % des employés signent une pétition. La direction est alors obligée d’organiser des élections sous le contrôle de l’organisme National Labor Relations Board. Si la majorité est favorable, un syndicat unique est formé. "De plus, il faut mener cette procédure pour chacun des nombreux sites de production d’IBM aux ...tats-Unis. Notre nouvelle tactique est plus directe." Alliance@IBM ne deviendra donc pas une section officielle de Communications Workers of America (CWA), le syndicat leader dans le secteur des télécommunications. Avec 500 membres payants et environ 5 000 sympathisants actifs pour environ 100 000 employés IBM, Alliance@IBM continuera grâce au système D, "dans un contexte culturel très anti-syndical". Au programme : pétitions, envois d’e-mails, manifestations sur le lieu de travail et discussions pour réveiller les consciences laborieuses.
Bataille fondatrice
La petite résistance qu’oppose Alliance@IBM à la direction a démarré en 1999. À cette époque, la direction des ressources humaines avait modifié unilatéralement les cotisations d’IBM aux fonds de retraite et aux fonds mutualistes. "En gros, tous les employés perdaient la moitié de la retraite pour laquelle ils avaient cotisé. Et leur couverture médicale, auparavant d’un montant et d’une durée illimitée, se voyait réduite à un an et plafonnée à 50 000 dollars", explique Jimmy Tarlau. Le tollé provoqué a permis de faire naître Alliance et de finalement faire reculer la direction sur la question des retraites, pour la moitié du personnel. Après cette bataille fondatrice, il reste aujourd’hui beaucoup à faire, notamment face aux licenciements en cours dans la division Global Services. Sur le site de Alliance@IBM, on lit de nombreux témoignages de salariés découvrant que Big Blue n’est pas forcément reconnaissant du dévouement qu’on lui témoigne. "Mon mari vient d’être viré avec un préavis de trente jours après vingt-trois ans de maison, parce que ses compétences ne correspondraient plus aux besoins. Il a toujours eu les meilleures notes et il est dur de croire qu’IBM ne fait plus de hardware, de software, de management ni de ventes", se plaint une épouse anonyme.
Ça c’est Dallas !
Comparés aux Américains, les syndicalistes français ont bien sûr une situation en or, même chez IBM. "La politique américaine de gestion du personnel, c’est Dallas !", ironise Michel Perraud, responsable national CFDT chez IBM France. Avec plus de 30 % des voix du personnel, la CFDT est le premier syndicat, suivi par la CGC (25 %) et le SNA, le syndicat maison qui représente 20% des salariés.
Rentré à l’usine IBM de Montpellier "un mois après mai 68", Michel Perraud a récemment passé trois ans aux ...tats-Unis. L’occasion d’y constater le fossé. "Traditionnellement, tout activiste syndical était immédiatement licencié, mais IBM avait une politique maison de pérennité des emplois et de hauts salaires. En dix ans de difficultés, c’est devenu une boîte comme les autres." Comme dans beaucoup de groupes américains, la politique des ressources humaines se décide au siège mondial de Big Blue. Et les conséquences se sentent jusqu’en France. "La direction d’IBM France a créé le SNA [Syndicat national autonome] après les accords de Grenelle de 1968 pour contrer les revendications des vrais syndicats. Elle a ainsi un partenaire pour signer des accords dérogatoires au code du travail", accuse Michel Perraud. Selon le syndicaliste, les 14 000 employés d’IBM France auraient subi une baisse du pouvoir d’achat moyen sur les 10 dernières années. Aujourd’hui, la CFDT mène la bataille de la réduction du temps de travail. "La direction a réussi à imposer ses vues pour les employés cadres, la situation des temps partiels piétine et les négociations sont rompues sur la question de la formation", résume le syndicaliste, qui pressent aussi des licenciements dans l’année à venir. Aux ...tats-Unis comme ailleurs, Big Blue n’aime pas les syndicats. "Mais dans la crise, les erreurs stratégiques de la direction sont notre chance", espère Jimmy Tarlau.