Les employés du leader mondial de la vente en ligne ont créé un embryon de syndicat, day2@Amazon.com. Dans la bataille qui les oppose à une direction hostile, les organisateurs ont élargi leur action à la France et à l’Europe. Patrick Moran, porte-parole du Prewitt Organizing Fund, Marie-Thérèse Deleplace et Luc Lecornu, membres du secrétariat fédéral du syndicat français SUD, livrent leurs réactions.
Transfert - Pour mener une action syndicale, quelles sont les différences entre la nouvelle économie et les secteurs traditionnels ?
Luc Lecornu - La nouvelle économie a un développement beaucoup plus rapide et on y trouve une idéologie du type : "On est prêt à travailler 50 à 60 heures par semaine, ca amènera la réussite personnelle." Cette mentalité exclut de fait toute préoccupation collective et toute recherche de garantie. En gros, c’est de l’individualisme forcené.
Patrick Moran - La différence principale est que la nouvelle économie n’a ni limites ni frontières. Il faut donc l’aborder à l’échelle mondiale plutôt que locale. Elle se déplace également très vite et cherchera à profiter des régions plus faciles à dominer ou à exploiter. Amazon vient d’ouvrir un centre d’appel en Inde, qui sert des clients américains. Si ces entreprises vont dans ces pays, c’est naturellement pour profiter de la quasi-absence de droit du travail. Je trouve cela révoltant. Cela souligne la nécessité de standards de protection internationaux. Si le capital a la liberté de circuler où bon lui semble, les salariés devraient pouvoir faire la même chose en se regroupant pour se défendre.
Face à l’internationalisation des entreprises, quelles réponses apportent les syndicats ?
Marie-Thérèse Deleplace - Dans le communiqué que nous avons diffusé après le tractage de l’entrepôt d’Amazon France, nous revendiquions un droit pour les salariés d’une même entreprise de se regrouper, quelque soit le pays dans lequel ils sont employés. L’exemple de France Télécom, que nous connaissons très bien à SUD Télécom, est intéressant. L’entreprise est maintenant présente partout en Europe et pratiquement dans le monde entier. Pourtant, il n’y a pas d’instance de groupe. Ces dernières sont des institutions paritaires entre la direction et les employés, qui permettent notamment aux syndicats locaux de se regrouper facilement sur des causes précises. Nous demandons en ce moment la mise en place d’une instance de groupe à France Télécom. La généralisation de ces institutions est primordiale et permettra de créer un tissu syndical avec des liens internationaux forts.
Mis à part Amazon, quelle est votre action dans la nouvelle économie ?
L. L. - Bien que l’on nous taxe souvent d’archaïsme, nous nous tournons naturellement vers ce secteur. Nous nous sommes posé la question, il y a un an, lors du dernier congrès de SUD, dont les statuts avaient été pensés dans le cadre de la Poste et de France Telecom. Au vu du tournant Internet pris par France Telecom et de la dérégulation en cours dans le secteur des colis postaux, nous avons voté l’élargissement de notre domaine d’intervention. SUD couvre donc aujourd’hui toutes les activités d’expédition de colis et de plis et le secteur de la communication, qui inclut Internet et une bonne part des nouvelles technologies. Le cas Amazon est donc une heureuse surprise, exactement à la croisée des chemins entre ces deux domaines.
P. M. - Amazon est notre premier projet. L’objectif est avant tout de porter les problèmes à l’attention du public. Nous voulons également montrer que l’enjeu est international, voire mondial. Nous avons choisi de nous spécialiser dans l’e-commerce parce que c’est une forme de nouvelle révolution industrielle qui est en train de changer beaucoup des processus de travail. Il faut fixer les standards de conditions de travail maintenant, alors que le secteur est encore naissant. Sinon, les entreprises le feront à notre place et il sera trop tard.