La revendication d’égalité n’est pas propre aux êtres humains : une expérience menée par Sarah Brosnan et Frans de Waal, du Yerkes National Primate Research Center d’Atlanta, vient de démontrer que les singes capucins réagissent très mal aux inégalités de récompenses. Cette découverte, qui relativise l’importance de l’appât du gain dans le comportement, remet ainsi en question un des fondements des théories économiques classiques.
Ne pas se faire bananer
Brosnan et de Waal ont étudié plusieurs femelles capucins qui avaient été préalablement entraînées à effectuer des petits exercices en échange d’une récompense. Les chercheurs se sont aperçus que, bien que les capucins se contentent d’un concombre lorsqu’ils sont seuls, ils refusent de plus en plus fréquemment d’effectuer leurs exercices lorsque leurs congénères reçoivent une meilleure récompense pour la même tâche : un raisin. Une forme de grève des tâches par laquelle un singe refuse une gratification si elle est inférieure à celle que reçoit son voisin...
Pour ces singes sociaux et sociables, l’appât du gain d’un concombre est donc moins fort que le rejet qu’inspire une rétribution inéquitable. Un attitude et un choix complètement irrationnels, selon les critères généralement admis par les économistes.
Pour décider s’ils s’engagent ou non dans un échange économique, les capucins évaluent leurs gains mais ils les comparent aussi à ceux qu’obtiennent leurs partenaires.
Des conséquences pour l’homo economicus
Les deux primatologues américains, qui viennent de publier leurs travaux dans la revue scientifique Nature, affirment que c’est la première fois que l’on met ainsi en évidence l’existence d’une sensibilité instinctive à l’équité chez des primates non-humains. Selon Brosnan et Waal, cette expérience implique que l’aversion pour l’inégalité, déjà observée et étudiée chez l’homme, s’enracine probablement autant dans les instincts archaïques que dans la culture.
Sarah Brosnan pense que ses travaux ont des implications qui vont au-delà de la seule primatologie. En effet, ces résultats confortent des travaux qui contestent les théories économiques classiques, et notamment la façon dont elles modélisent les mécanismes intervenant dans la prise de décision. Des anthropologues, des psychologues, mais aussi des économistes pensent en effet que, contrairement à l’homo oeconomicus théorique qui ne cherche que la maximisation de ses gains, l’individu réel recherche tout autant la coopération avec autrui ou l’équité.
Ces théories forment un discipline appelée "économie cognitive", sortie de l’ombre lors de l’attribution du prix Nobel d’économie 2002 à Vernon Smith et Daniel Kahneman. Pour ces chercheurs, il est indispensable de réévaluer les prédictions des modèles classiques du choix économique en y intégrant d’autres types de motivations, autrefois disqualifiées comme "passionnelles et exogènes".
"Monkeys Reject Unequal Pay", article de Brosnan et de Waal, en .pdf (Nature):
http://www.emory.edu...
Article contestant les modèles de la motivation dans les théories économiques classiques, en .pdf (American Economic Review):
http://www.iew.unizh.ch/home/fehr/p...
"Pour étudier la commercialisation des OGM, nous avons construit une Europe artificielle", interview de Juliette Rouchier (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a8984