"Les obus à l’uranium appauvri risquent de contaminer les populations civiles" [Pascal Le Pautremat]
Un historien des affaires militaires revient sur l’arsenal américain utilisé en Irak
L’historien Pascal Le Pautremat, auteur de Forces spéciales : nouveaux conflits, nouveaux guerriers, paru aux éditions Autrement en mars 2003, décortique pour Transfert l’armement déployé par l’armée américaine en Irak.
Maintenant que cette guerre est terminée, commence-t-on à y voir plus clair
sur la façon dont elle s’est déroulée ? Pourquoi a-t-elle été aussi courte ?
On commence enfin à pouvoir prendre du recul. En suivant le conflit devant
nos écrans de télévision, on pouvait avoir le sentiment que l’armée
irakienne était subitement passée de la résistance à la débâcle. En fait, c’est oublier que cette guerre a été préparée de longue date par les
Américains.
Les équipements militaires irakiens avaient déjà été affaiblis par la première guerre du Golfe. 12 ans d’embargo les ont rendus totalement obsolètes. D’autant que les Américains ont régulièrement bombardé des cibles militaires pendant l’embargo. Depuis l’été 2002, les raids aériens étaient d’ailleurs extrêmement fréquents, et encore plus à partir de janvier 2003. Toutes ces frappes ont conduit à la destruction d’une large partie du potentiel militaire du Raïs. Ce qui explique que si Saddam possédait des armes chimiques (comme il en existe dans toutes les armées du monde), il n’ait même pas eu les moyens de les utiliser.
Quelles sont les armes et les technologies nouvelles qui ont été utilisées
par les forces de la coalition pendant le conflit ?
Les forces coalisées ont eu largement recours à des munitions intelligentes : des missiles à guidage laser, infrarouge, thermique ou GPS. Ce sont des missiles à fort pouvoir de destruction. Ceux composés à partir d’uranium appauvri ont un pouvoir de perforation du béton armé qui est décuplé par rapport aux missiles
classiques. La robotisation a eu aussi une place majeure via les drones,
ces avions sans pilote chargés de recueillir des renseignements,
photographiques par exemple, mais aussi capables de lancer des missiles.
N’oublions pas non plus les bombes à dispersion, qui essaiment sur un périmètre donné des mini bombes - "cluster bombs" - qui explosent soit instantanément, soit à retardement. Elles ont engendré de véritables catastrophes au sein des populations civiles.
En matière d’armement individuel, on retiendra, pour les snipers, l’usage
de plus en plus fréquent de fusils de calibre 12,7 mm, voire même, depuis peu,
de calibre 22 mm, qui permettent de tuer jusqu’à 1800 mètres... Sans oublier les balles en titane qui traversent les murs, les lunettes de visée laser, les lunettes thermiques qui distinguent les hommes derrière les obstacles, etc. La panoplie est terrifiante.
Quels risques représentent les munitions à l’uranium appauvri pour le futur ?
Les obus tirés par les chars américains, et probablement les fléchettes
tirées par les hélicoptères Apache, étaient composés d’uranium appauvri. Or,
si certains scientifiques s’empressent d’indiquer qu’il n’est pas prouvé que
cet uranium joue un rôle néfaste sur la santé, l’inverse n’est pas non plus
démontré. Il y a un risque de contamination des populations par les
poussières radioactives consécutives aux explosions. Les bombardements ont
aggravé une situation sanitaire déjà alarmante. En 1991, ce type d’armement
avait déjà été utilisé dans le sud-est irakien, où une recrudescence des
cancers chez les enfants a été observée depuis.
Évidemment, ces questions dérangent les Américains, et il faudra des années pour faire toute la lumière là-dessus. Je m’inquiète aussi pour la santé des Bagdadis et des journalistes qui sont restés trois semaines dans la capitale irakienne en guerre. Car ils ont respiré chaque jour des émanations de pétrole en feu, qui brûlait dans des tranchées creusées autour de la ville. Ces émanations sont hautement cancérigènes.
Peut-on déjà dresser un premier bilan des pertes humaines ?
C’est difficile. Mais je crois que nous n’avons pas idée de la force de
frappe de la coalition. 500 à 800 missiles lâchés sur Bagdad les trois
premiers jours seulement ! Près de 15 000, tous types confondus, au terme de
trois semaines de conflit. Autour de la capitale comme ailleurs, les soldats
irakiens ont été massacrés, laminés sous un tapis de bombes, entraînant
nombre de désertions chez les survivants. On apprend peu à peu qu’en divers
points du pays, au cours de la progression des forces américaines vers
Bagdad, des milliers d’hommes sont morts, écrasés par la puissance de feu
terrestre (chars, artillerie) et aérienne (hélicoptères et avions).
Chaque jour qui passe, nous allons donc en apprendre un peu plus sur les dégâts de cette guerre. Souvenez-vous qu’à la fin de première guerre du Golfe, on annonçait des pertes humaines négligeables. Or, on estime aujourd’hui que le bilan à été de 150 000 à 250 000 morts côté irakien. Une fourchette très large qui, 12 ans après, n’a toujours pas pu être précisée.