Camille Cholain, auteur-compositeur-plasticien-interprète,
voit dans le Web un outil à sa mesure...

Transfert
:
De quand datent tes premiers rapports avec un ordinateur ?
- Juste après la guerre du Golfe, et juste
avant que je ne me décide à utiliser
des préservatifs. Ceci dit, les cotés
machine, machinerie et machination m’ont toujours
intéressé. D’un côté, c’était
enfin un outil à ma taille, avec une masse
de concepts passionnants, et de l’autre le vecteur
d’une véritable économie du suicide
: tout-réseau, voyeurisme, hyper-fragmentation
et auto-représentation à tout va. Le
Net est ensuite venu comme une revanche de l’écrit
qui me permet aujourd’hui de poser une équivalence
entre l’esthétique, le politique et l’économique.
Contrairement à l’immense majorité qui
y voit une "niche", je le vis comme
un impossible infini.
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©
Jean-Marc Manach |
Que
signifie la notion de "multimerdia"
?
- Une dérision et un formidable espoir. Dérision
pour les angoissés de la "niche"
et les risques terrifiants d’une hyper-modélisation
du monde sur le modèle des autoroutes de la
communication ou encore du brevetage du vivant. Dérision
car ce support n’a de nouveau que sa massification
et ne crée rien que de l’ancien. Espoir car,
passé le cap de la paranoïa sociale (plus
l’outil est neuf et ouvert, plus les réponses
sont classiques et sécuritaires), la tendance
s’inversera et des frontières fluctuantes naîtront
des "mondes nouveaux". Le multimerdia est
pour moi l’occasion rêvée d’être
à la fois "mode" et définitivement
critique. Ce que certains pourraient en faire me panique
; ce que j’y crée me passionne et m’amuse.
Tes mails sont des textes à part entière,
sinon de la littérature hypermédia.
Hypermarché ? Littérature ?
- À fond... et même, justement, quand
les mots n’y sont pas. Marcel Duchamp est l’un des
premiers à avoir indexé son boulot sur
le littéraire (comme machine aussi) contre
le mythe occidental très "pecno-techno"
de l’Aaaaaart. L’auteur de la Joconde, icône
ô combien puritaine, était quant à
lui d’abord un ingénieur, un guerrier, un inventeur
et un bon vivant.
Tu n’utilises jamais ta véritable identité
mais plutôt des pseudos : quid de la notion
d’artiste ?
- Les débats actuels sur l’artiste m’insupportent
: je suis ce que je fais. Pour le reste, je m’amuse,
comme tout le monde, avec des pseudos mais aussi diverses
fictions d’associations, d’entreprise, etc. C’est
un métier de la catégorie de ceux qui
plaisent et que l’on choisit, et tout le monde devrait
avoir cette "chance-là" :
pas d’être artiste mais de faire un métier
qui lui plaît.
Joconde Vidéomédie, Angle Mort Entreprise,
Stratégie du Crabe... Comment se repérer
dans cette jungle de concepts ?
- Comment se repérer dans la jungle, tout court
? Comment produire du sujet dans un monde de réseaux
? Certains vivent la rareté, je suis, moi,
dans la profusion. Je prends les gens pour intelligents
et j’ai remarqué que les gens "souples"
se glissaient sans problème dans mes éclats
de rire alors que d’autres s’y explosent littéralement,
furieux. J’ai parfois en retour de bien belles caresses,
mais aussi des attaques fulgurantes ou des désarrois
sincères.