Pour ce patron de studio, la création numérique est à l’image du marché : morose...
Dimanche 19 octobre, à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris, le jury de la cinquième édition du Fifi, le festival des films sur l’internet, remettra ses prix. Les 18 et 19 octobre, des projections gratuites permettront au public de visionner les films présentés dans les différentes catégories du festival.
Eric Viennot, cofondateur et directeur de création du studio Lexis numérique, d’où sont sortis quelques CD-Rom remarquables destinés aux jeunes (telles que les séries de l’Oncle Ernest ou du Poisson Arc-en-ciel), fait partie des membres du jury du Fifi. Alors qu’il s’apprête à sortir un jeu hybride CD-Rom/internet (une enquête policière au cours de laquelle le joueur doit collecter des indices sur environ 400 sites Web), il livre ses impressions sur la qualité des films sélectionnés pour le Fifi 2003 et sur l’avenir du secteur de la création numérique, marqué, selon lui, cette année encore, par la morosité.
Le Fifi 2003 est-il un bon cru ?
Eric Viennot : Non, pas vraiment. Globalement, le niveau était assez moyen, tous les membres du jury sont d’accord sur ce point. Beaucoup de travaux manquaient d’interactivité. On a vu des films intéressants, techniquement bien réalisés - sauf en ce qui concerne le son, souvent négligé. Mais on peut se demander ce qu’apportent ces films, créés pour l’internet, par rapport à une série TV... Ces films manquent de points de vue d’auteurs qui prennent en compte les spécificités du Net. A tel point que dans la catégorie scénario, personne ne sera récompensé...
La compétition est internationale. Alors que tous les créateurs disposent des mêmes outils, existe-t-il des spécificités en fonction de leur origine ?
Non. On assiste à une banalisation des oeuvres, on ne note pas de différences importantes entre les Australiens, les Américains et les Français, par exemple. On voit un peu tout et n’importe quoi. On peut seulement distinguer des démarches différentes : certains auteurs, issus de l’art contemporain, travaillent dans une optique d’avant-garde. D’autres créent des animations sympas, qu’on pourrait facilement voir à la télévision. Une troisième catégorie regroupe ceux qui préfèrent se tourner vers les jeux et proposent des oeuvres plus interactives.
Les créateurs primés au Fifi peuvent-ils espérer trouver du travail ou vendre leurs films ?
Certains travaillent déjà. Pour les autres, ce sera difficile car le marché de la création numérique est encore au creux de la vague. Les employeurs ou les acheteurs potentiels, qui sont à la tête des grands médias, sont souvent âgés d’une cinquantaine d’années. Dans ce genre de travaux, ils ne voient que la technique ou l’esthétique. Des jeux vidéo, ils ne retiennent que la violence. Ils ne se rendent pas compte qu’il s’agit d’un art nouveau, d’une nouvelle façon de raconter des histoires.
De plus en plus de Français possèdent un ordinateur et une connexion à internet. Pourtant, le marché des CD-Rom, du jeu vidéo ou de l’animation numérique ne décolle pas...
Ces créations ne touchent pas le grand public, celui de la télévision. C’est encore un art balbutiant. En ce moment, on essuie les plâtres. Les gens ne connaissent pas cet univers. Pourtant, il serait temps que les médias s’y intéressent : la plupart des 15-25 ans passent plus de temps à jouer aux jeux vidéo qu’à lire. Mais les médias généralistes continuent à parler des livres, jamais des jeux vidéo.