On a beaucoup parlé des "jeunes milliardaires" de l’Internet. Mais peu de ceux qui ont vraiment profité (voire fabriqué) la bulle : les banques d’affaires. Et pourtant...
Et pourtant, leur rôle n’a été ni mince, ni clair (si on en croit les plaintes qui commencent à tomber sur certains de leurs analystes). Pour le comprendre, il faut connaître le travail de ces banques d’affaires (organismes financiers qui n’ont pas grand-chose à voir avec le banquier du coin de la rue). Pour les entreprises, leur rôle est d’aider dans le placement de la trésorerie, comme de conseiller dans toutes les opérations d’ingénierie financière, ou d’assister dans des négociations difficiles, voire de financer des investissements (rachats...). Pour les particuliers assez riches pour pouvoir se payer leurs services, ils assurent des missions de conseil dans la gestion de patrimoine, et bien sûr de placements divers (bourse ou autre). Pour les deux clientèles s’ajoutent un rôle de conseil global, notamment sur les investissements intéressants, la situation de certains secteurs de l’économie, voire de certaines entreprises.
Et c’est là que le problème commence.
Pendant la période de folie Internet, ces banques avaient notamment pour clients des sociétés qui souhaitaient s’introduire en bourse, avec l’aide des experts. Ou des entreprises dont l’introduction avait déjà été réalisée par cette même société financière. Dans certains cas, la banque d’affaires avait été en partie payée en actions de l’entreprise en question... Et il faut savoir que les prestations de ces spécialistes sont plus que chères : hors de prix. Une introduction en bourse se chiffre à plusieurs millions de francs. Une fusion ou une vente peut se chiffrer en milliards (il s’agit souvent d’un pourcentage de l’opération). Le conseil, lui, est facturé à plusieurs Smics par jour... Imaginez les fortunes réalisées par ces banques d’affaires pendant la frénésie Internet : impressionnant. Et peut-être pas toujours très sain.
Car nous avions donc, d’un côté, un organisme chargé de réaliser (et de réussir) l’introduction en bourse, ou le maintien du cours, d’une société X. De l’autre, des services de conseil en placement émettant des "avis", évidemment éminents et suivis par les boursicoteurs du monde entier, sur la valeur de la société X. Détail : ces deux fonctions étaient souvent assurées par la même banque d’affaires... Vous avez dit "conflit d’intérêt" ? Bien sûr, les analystes des Merryl Lynch ou autre JP Morgan vont jurer de leur éthique et de leur indépendance. La plupart du temps à juste titre. Mais quand même... Pas étonnant, aujourd’hui, de voir Mary Meeker, l’analyste vedette de Morgan Stanley, attaquée par des petits porteurs, désormais ruinés, qui avaient trop cru dans ses analyses sur amazon.com ou eBay. Le doute est trop facile.
Dans un autre procès célèbre, beaucoup estiment que Microsoft ne peut pas à la fois vendre des systèmes d’exploitation ET des logiciels tournant sur ces systèmes. On pourrait peut-être demander aux banques d’affaires de faire de même : ne pas mélanger conseils en placements/gestion de biens ET ingénierie financière. Que celui qui conseille l’achat d’une valeur ou donne son avis sur l’avenir d’une entreprise n’ait rien à voir avec ceux qui, actuellement de l’autre côté du couloir, tentent de faire remonter le cours de ladite valeur ou de réaliser une introduction en bourse de cette même entreprise.
Une telle séparation des pouvoirs ne garantit pas, loin de là, qu’une nouvelle bulle financière ne puisse se former (avant d’éclater). Mais elle évitera les soupçons de manipulation, désagréables quand on a perdu ses économies...