Sur internet, la communauté des astronomes amateurs est florissante. Grâce aux webcams et à des logiciels spéciaux, la prise de photos de l’espace s’est démocratisée. Le site fédérateur Astrosurf héberge plus de 1000 sites personnels d’astronomes amateurs, qui communiquent par chat, forums et mailing-lists et qui, parfois, se rencontrent même dans le monde physique...
"Vue grand champ de la région sud de la Lune au dernier quartier", prise à la webcam depuis son balcon, par Jacques-André Régnier (DR)
Comme tous les premiers lundis de chaque mois, Guy Burhy tient son Café Astro, en haut de l’Escalier, un bar du 10ème arrondissement de Paris. "Je fais de l’astronomie amateur depuis plus d’un an et j’ai connu pas mal d’autres passionnés sur le Net. Je voulais qu’on ait un lieu d’échange en plus des forums et des listes", explique ce graphiste freelance parisien d’une quarantaine d’années. "En plus, c’est sympa de pouvoir mettre des visages sur les pseudonymes", se réjouit Guy, connu en ligne sous le sobriquet de Blue Bayou.
Crée l’été dernier, le Café Astro de Guy Burhy est une initiative unique où se rencontrent des amateurs de 23 à 65 ans. "Il y a même quelques filles", tient à préciser Guy. Le 5 mai dernier, ils étaient six, la plupart venus avec un ordinateur portable pour montrer leurs dernières photos de l’espace, prises grâce à des télescopes classiques et de simples webcams. Certains n’hésitent pas à casser leur tirelire. Demoniak, 27 ans, vient de s’offrir pour 6 000 euros de matériel astronomique et informatique.
Matériel amateur, travail de pros
"Les gens viennent surtout pour échanger des trucs techniques : l’équipement est de moins en moins cher et les astuces à découvrir de plus en plus nombreuses", explique Guy, qui dit ne disposer que d’un "équipement de pauvre" : un télescope d’une valeur de 2000 euros. "Au début, les gens ne voyaient pas l’intérêt du Café Astro par rapport au net ou aux clubs d’astronomie. Mais ça a fini par plaire et des amateurs viennent d’importer le concept à Bastia. Là-bas, ils sont déjà une vingtaine."
La photo d’astronome amateur, comme d’autres passions, s’est démocratisée et décloisonnée grâce au net et aux webcams. Certains mordus sont devenus d’authentiques spécialistes, comme Thierry Legault, dont les photos, exposées sur son site, remportent concours sur concours. Depuis un an, Thierry Le Gault, qui a longtemps utilisé des caméras professionnelles CCD, se sert de simples webcams et obtient grâce à elles d’excellents résultats. "On pourrait croire que Thierry va chercher ses photos sur le site de la Nasa !", s’amuse Guy.
Vue sur la tour Eiffel et la Lune
Habitué du Café Astro, Jacques-André Régnier (dit "JAR") passe sur le réseau pour être le meilleur astronome amateur de Paris. "Avec la luminosité et la pollution de la ville, je pensais que je ne pourrais faire des photos qu’à la campagne. Depuis, je suis carrément devenu militant de la photo astro en ville, pour convaincre ceux qui n’y croient pas encore", explique JAR, dont le site d’observation est installé sur son balcon de l’avenue Wagram, avec vue sur l’arc de Triomphe et la tour Eiffel. (Lire "Avec sa webcam, "JAR" fait de l’astronomie de balcon")
A l’instar cet informaticien de 38 ans qui réalise des CD-Roms en freelance, les astronomes amateurs retirent les objectifs des simples webcams du commerce, pour les visser sur leur télescope, grâce à un adaptateur en plastique. Ils filment ensuite une planète ou la lune, pendant deux à trois minutes, à 10 images par seconde. Ils trient ensuite les clichés, image par image, en ne gardant que les meilleures.
Ces centaines d’images, sombres et peu précises, sont ensuite "empilées" ou "stackées" les unes sur les autres, grâce à des logiciels de traitement d’image développés spécialement à cette fin. Iris, le plus célèbre d’entre eux, a été développé par le Français Christian Buil et est téléchargeable gratuitement sur internet, en français ou en anglais.
"En empilant les images, le bruit visuel, aléatoire, s’annule, alors que les parties utiles de l’image s’additionnent. Avec un peu de retouche à la sortie, pour faire ressortir les détails et les contrastes, on obtient de photos superbes", explique Jacques-André Régnier. Avec Thierry Legault, JAR a récemment ressorti des photos d’astronomie prises il y a quelques années avec un appareil argentique : "On aurait dit des clichés pris il y a cent ans..."
Fédération
Sur le Net, la plupart des astronomes amateurs français disposent désormais d’une page personnelle. Peu à peu, tous ces photographes du ciel se sont fédérés, notamment autour de la liste de diffusion Astrocam et de son site, astrocam.org. Consacrée uniquement aux photos de l’espace prises avec des webcams, la liste astrocam compte 550 abonnés et diffuse jusqu’à 2000 messages par mois.
Mais la colonne vertébrale de la communauté reste le site Astrosurf, lancé bénévolement il y a presque 5 ans par Jean-Philippe Cazard, un développeur installé au sud de Toulouse. Tous connaissent ses forums, son chat et ses mailing-lists. Mais Astrosurf est avant tout une plate-forme d’hébergement gratuite pour plus de 1000 pages personnelles d’astronomes "à but non commercial".
Jean-Philippe Cazard explique : "Le Net a vraiment changé les choses en permettant de faire circuler l’information et d’échanger des savoirs pointus entre amateurs, qui étaient auparavant isolés." En dehors de sa passion, Cazard consacre l’autre moitié de son temps à sa société Axilone, qui développe des sites et des logiciels d’imagerie de synthèse. Avec 450 000 visites par mois, Astrosurf ne coûte rien à son créateur, grâce à une boutique en ligne qui propose CD-Roms, livres, DVD et posters.
Mieux, la vivacité de la communauté a permis à Jean-Philippe Cazard de faire naître, par son site, un magazine papier, Astrosurf Magazine. Ce bimestriel de 80 pages en noir et blanc, vendu via son site, s’apprête à sortir son numéro trois. Il compte déjà 1500 abonnés. "Le magazine est déjà rentable. Cela dépasse de loin toutes nos espérances !" se réjouit Jean-Philippe Cazard. Décidément, les astronomes amateurs voient loin.