C’est le retour des professionnels. Après une période où n’importe qui a pu se croire investisseur, les pros sont les derniers à regarder les dossiers. Mais ils sont toujours là.
Fin 1999, début 2000, dans les grandes fêtes des First Tuesday, les investisseurs se ramassaient à la pelle, marqués d’un badge de couleur vive. Les porteurs de projets, eux aussi, étaient par centaines et tout le monde s’embrassait allègrement en pensant aux bénéfices futurs... Parfois, l’analyse des dossiers était des plus sommaires, certains business plans reposant sur dix ou douze diapos de PowerPoint. Il fallait croire dans l’équipe, et croire dans le Dieu Internet. Celui-ci, avec sa croissance à trois chiffres, devait tout pardonner, tout donner.
Cette méthode a produit quelques succès, et beaucoup d’échecs. Et elle est surtout passée de mode. Aujourd’hui, dans les réunions, les investisseurs sont discrets. Les amateurs tentent de se remettre de leurs lourdes pertes ou sont à la plage (s’ils font partie des rares à avoir gagné). Car l’investisseur occasionnel, une fois bouffé son capital, ne sait plus que faire devant l’entreprise qui périclite. Si ce n’est pleurer. Le pro de l’investissement, lui, sait : il faut remettre du cash, apporter éventuellement de nouvelles compétences.
Généralement, le pro avait prévu cette éventualité dès le premier tour, et avait conservé une ligne de crédit pour l’entreprise : l’expérience, qui permet de savoir que cela se passe rarement comme prévu. Il sait aussi qu’il n’y a que trois options :
1. Laisser tomber si la société n’a pu développer un produit ayant la moindre chance de trouver son marché,
2. Vendre, pour autant qu’il y ait preneur,
3. Renflouer la société et lui apporter éventuellement les compétences qui lui manquent, jusqu’à ce que l’équilibre soit atteint, ou qu’un acheteur se manifeste.
Cela peut représenter beaucoup d’argent. Deux à trois fois ce qui a déjà été investi. Mais c’est logique : on a cru qu’Internet pouvait s’affranchir des règles économiques normales, on découvre que les besoins en investissement sont tout aussi lourds, voire plus, que dans certaines activités traditionnelles. On découvre aussi que le marché n’atteindra pas sa maturité avant quatre ou cinq ans, et qu’il sera donc difficile aux entreprises d’être rentables rapidement. On découvre, simplement, que ce n’est pas facile. Que c’est un métier. Et que, passé cette petite période de folie de huit mois (automne 99/printemps 2000), il n’y a plus de rêve de fortune rapide et facile.
Ce réveil, mortel pour les petits investisseurs, n’est qu’agaçant pour les investisseurs professionnels. Eux aussi, au fond, ont cru à des retours sur investissement en douze mois. Ils découvrent aujourd’hui que ce sera plutôt 5 ou 6 ans, dans la plupart des cas. Alors, en bons pros, ils ont intégré les nouvelles règles. Qui sont, en fait, celles de l’économie traditionnelle.