Poursuivi pour mails indésirables, le "cyberprospecteur" défend sa petite entreprise
(MaJ d’octobre 2010 : à la demande de l’intéressé, et en vertu du "droit à l’oubli", son nom ainsi que celui de sa société ont été anonymisés)
Sa société est probablement la plus connue, en France, en matière d’envoi de courriers électroniques "non-sollicités". Elle fait d’ailleurs l’objet d’une plainte transmise au parquet par la Cnil (Commission informatique et libertés).
Mais il persiste et signe dans ses pratiques, considérées comme du spam par ses nombreux détracteurs, et les défend bec et ongles au nom de la survie des PME-PMI et la fameuse "netéconomie". Après avoir reçu nombre de ses "prospections publicitaires", Transfert lui a proposé de s’exprimer à ce propos.
Fabrice H., 32 ans, informaticien de formation, est à la tête d’une société de cinq employés, autrefois connue sous le nom d’Alliance Bureautique Service (ABS) et renommée, la société n’ayant plus rien à voir avec la bureautique, E-* (cyberprospection.com) en janvier dernier. Depuis 1998, il crée et vend des sites web, à raison de quatre par jour ces derniers temps, affirme-t-il.
Mais Fabrice H. fait l’essentiel, sinon la totalité de son chiffre d’affaires grâce à l’"e-mailing B2B", ou prospection commerciale par courrier électronique non-sollicité, communément appelée spam. Selon sa définition, il préfère y voir "l’arme du pauvre" des petites entreprises et de la netéconomie face aux multinationales.
Fabrice H reconnaît envoyer au moins 5 000 e-mails par semaine. Autrefois intitulés "La Rolls des sites pour 3500 FHT" ou "Découvrez le logiciel qui nous a permis de vous contacter", ces publicités avancent aujourd’hui d’autres slogans : "Votre site clef en main avec son Interface de
mise à jour pour 890 euros" ou "Faites décollez votre chiffre d’affaires grâce à
l’e-mailing".
Car E-* ne vend pas que des sites web, mais aussi un logiciel,
Freeprospect, dont l’entreprise se sert abondamment pour elle-même. Ce programme, en
fonction de certains critères (secteurs d’activité, zone géographie, mots-clés), permet d’envoyer des e-mails "de prospection".
C’est la prospection qui nous motive
Suite à l’opération "Pour en finir avec le spam
!", la Commission nationale informatique et libertés (Cnil)
dénonçait au Parquet, en novembre 2002, les pratiques "illégales, illicites et déloyales" de cinq sociétés, dont ABS.
La société de Fabrice H. est en effet
accusée par la Cnil d’avoir constitué "des fichiers de prospects en totale opposition avec l’article 25 de la loi Informatique et libertés, qui énonce : ’La collecte de données opérée par tout moyen frauduleux, déloyal ou illicite est interdite’.
La Cnil reproche aussi à ABS de n’avoir pas respecté le droit dit "d’opposition" permettant aux internautes d’être radiés de son fichier. La peine encourrue est de cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Fabrice H. affirme avoir, depuis, fait modifier son logiciel avec l’aide d’un cabinet juridique, de sorte de ne plus constituer de fichiers. Le robot informatique qu’il utilise, autrefois un "aspirateur" d’adresses e-mails, travaillerait désormais en flux tendu, en envoyant des courriels au fur et à mesure de ses recherches sur le web. Plus de fichier rassemblant les adresses des prospects dans une base de données, donc. Selon Fabrice H., tout utilisateur de son logiciel Freeprospect qui tenterait de se constituer un fichier verrait même apparaître une fenêtre "pop-up" le dissuadant d’effectuer une telle collecte déloyale de données.
"Ca permet de cibler sans capturer : la notion de fichiers ne nous intéresse pas, c’est la prospection qui nous motive", explique Fabrice H., qui dit aussi passer une heure par jour à gérer la liste rouge qu’il a depuis créée et interfacée avec son logiciel, de sorte d’arrêter d’importuner les personnes lui ayant demandé de ne plus recevoir ses courriers non-sollicités.
On a fait des conneries. On paye.
Interrogé sur l’efficacité réelle de ses bonnes résolutions, Fabrice H. reconnaît cela dit que la méthode employée n’est pas une "science exacte" : "On essaie de limiter la casse et, à 95 %, mon logiciel ne va cibler que des professionnels. Sur le principe, je ne suis pas pour inonder les particuliers, mais la publicité par e-mail est un mal nécessaire, et un outil précieux."
En bon patron de PME en difficulté, Fabrice H. défend cette forme de publicité à moindre frais : "C’est aussi une question de survie : 9 boîtes sur 10, dans mon secteur d’activité, la netéconomie, déposent leur bilan. Quand on utilise le spam, on n’est pas un voyou, on recherche nos clients."
Au cours de sa carrière, Fabrice H. s’est construit une sale réputation sur le réseau, à l’époque où il spammait à tout va, jusque sur les listes de discussion les plus incongrues : celle des utilisateurs francophones de Debian (l’une des distributions Linux les plus populaires), linux.debian.user.french, la liste des cypherpunks (crypto-libertaires), celle de la fameuse Free Software Foundation
France ou encore celle du
W3C, le consortium international de régulation technique et juridique du web.
Pour faire oublier le passé, Fabrice H. reconnaît aujourd’hui avoir évolué et admet même avoir fait des erreurs : "Quand on a découvert cette technique il y a 5 ans, on n’avait jamais entendu parler de ’spam’ ni de la Cnil. C’était une technique efficace, et on tapait à tout va. Elle a des effets pervers et il y a pu y avoir des abus."
Visiblement affecté par la mauvaise publicité que lui a valu la plainte, Fabrice H. se rappelle aussi avoir suscité bon nombre de réactions négatives d’internautes excédés : ("Il y a des gens qui voulaient me tuer, ce sont des malades mentaux").
L’ex-serial-spammeur fait aujourd’hui son mea culpa : "On a fait des conneries, je me suis fait taper dessus par tout le monde et on en paie les conséquences. Je le regrette, je ne le ferai plus."
Mais pour ce qui est de ses méthodes, Fabrice H. continue à en défendre la pertinence mordicus, au nom de la santé de l’économie nationale. "Je pourrais vous écrire un roman sur le spam, c’est un vaste problème. Ce n’est pas un scoop que le spam ennuie des gens mais ça fait partie du système, justifie-t-il. Je ne cherche pas à me cacher. C’est une cause qu’on défend et c’est devenu une affaire de principe : si demain on interdit aux sociétés françaises de prospecter de cette manière, alors que les sociétés américaines le font, on ne sera plus concurrentiel. Le problème ne sera en rien résolu, ma boîte aux lettre recevra toujours autant de pub et je devrai faire un dépôt de bilan".
"La pub, c’est un droit"
Dans son chant de défense des entrepreneurs, Fabrice H. entame le couplet des petits contre les gros : "Mettez-vous à la place de l’entrepreneur au fin fonds d’une campagne, qui doit faire des kilomètres pour démarcher. Pourquoi le priver de cet outil ? Pourquoi pénaliser les PME ? Je n’ai rien contre les multinationales, mais est-il normal que des grosses sociétés inondent nos écrans de publicités, sous prétexte qu’ils ont des moyens ?"
"On est en train d’interdire le droit de recevoir de la publicité, c’est aussi un droit, prenez le problème à l’envers ! Le droit à la vie privée, faut arrêter de délirer, si on met une adresse email sur un site, c’est pour être contacté !", affirme même le spécialiste, en défenseur des libertés.
Pour éloigner la menace, Fabrice H. dénonce la focalisation qui est faite sur le spam alors même que le problème de la publicité non sollicitée est loin d’être l’apanage du seul réseau internet : "Qui dispose du plus gros fichier en France ? Wanadoo, qui l’a eu grâce à France Télécom, société monopolistique qui nous contraint à s’abonner chez eux. Je peux bien sûr m’opposer, mais je n’ai jamais demandé à être fiché", tonne-t-il.
"Et quid des fax et des publicités dans les boîtes aux lettres ? L’e-mailing n’est pas plus pénalisant que la prospection téléphonique. Je ne porte préjudice à personne, sans compter que, contrairement aux sites pornos ou de casinos, je ne revends pas de fichiers mails", renchérit Fabrice H., qui se voit en victime bouc émissaire : "Si ça amuse la CNIL de montrer du doigt un petit développeur... c’est tellement plus facile d’emmerder un petit gars de banlieue, c’est ridicule."
Amendement
Son point de vue, Fabrice H. dit avoir essayé de le donner à la Cnil, en entrant en contact avec l’autorité avant sa plainte. Il affirme aussi avoir sensibilisé le gouvernement à ce sujet.
Le père de Freeprospect avance ainsi être à l’origine d’un amendement déposé par le gouvernement et adopté au Sénat en février dernier, suite à une rencontre avec un interlocuteur du ministère des PME-PMI d’autant plus réceptif à son problème qu’il avait lui-même créé une start-up.
L’article 12 de la Loi sur l’Economie Numérique, qui prévoyait initialement d’obtenir le consentement préalable des internautes avant toute démarche de prospection commerciale par e-mail (ce qu’on appelle l’"opt-in"), exclut
ainsi dorénavant de cette mesure les sociétés inscrites au registre du commerce. En d’autres termes, les courriels publicitaires non-sollicités pourront légalement être envoyés dès lors qu’il s’agit de B2B.
A en croire Fabrice H., "aucun professionnel n’a su se mobiliser" pour l’amendement, pas même la puissante Fédération des Entreprises de Vente à Distance (FEVAD), qui "aurait eu tendance à temporiser".
Contactée par Transfert, la FEVAD, qui connaît visiblement bien son sujet et ne cache pas ses actions de lobbying en la matière, précise avoir été entendue dans le cadre des consultations portant sur l’avant-projet de loi, être intervenue au Sénat. Bref, elle revendique être, en bonne partie, à l’origine de l’amendement dont parle Fabrice H..
Dans tous les cas, l’article de la loi pose toujours des limites qui pourraient poser problème à Freeprospect, le logiciel d’E-* : "Est interdite la prospection directe, notamment la publicité, au moyen d’automates d’appel et de télécopieurs utilisant, sous quelque forme que ce soit, les coordonnées de toute personne qui n’a pas exprimé son consentement préalable à recevoir de tels appels", précise le texte.
"Il est également interdit de dissimuler l’identité de la personne pour le compte de laquelle la communication est émise", ajoute la loi.
Les courriels de prospections d’E-* se font généralement à partir d’adresses e-mails sans aucun rapport avec la société, telles que ssamantra@aol.com,
emailtrader@runbox.com,
shaman@europa.com ou encore
listerouge@gamebox.net
A quand le logiciel anti-spam ?
Interrogé sur ses pratiques, Fabrice H. reconnaît ne pas déclarer ses sites web (faute de temps, et parce que "ce n’est pas une obligation") auprès de la Cnil mais le faire pour ses fichiers. Il affirme insister auprès de ses clients pour qu’ils se conforment à la loi Informatique et Libertés : "Je concois qu’il puisse y avoir des sanctions et des règles. Si on me demande de mettre ’publicité’ dans le sujet des mails, je suis d’accord pour le faire. Et si quelqu’un veut se protéger de la pub, il peut le faire. Les solutions sont dans la technique".
Recevant lui-même 400 email de pub "non sollicités" par jour, Fabrice H. confie enfin qu’il a été jusqu’à développer un logiciel anti-spam... qu’il n’a pourtant pas encore osé sortir publiquement. "Si je le sors, on va encore en parler, alors que je suis plutôt d’une nature discrète, c’est un problème qui me tient à coeur, mais je n’ai pas envie que l’on pense que je fais ça pour faire amende honorable."