Michel Gentot, 69 ans, préside aux destinées de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) depuis deux ans et demi. Ce conseiller d’...tat bon teint affiche un parcours administratif brillant et un discrète affection pour la gauche.
Edgar Pansu |
Jacques Chirac s’est fait excuser. Les catastrophes de New York et Toulouse ont eu raison de son emploi du temps : il n’a pas pu enregistrer l’allocution en vidéo qui devait ouvrir la conférence internationale de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à la Sorbonne, lundi 24 septembre. Alors, ce matin-là, c’est Michel Gentot, le président de la Commission, qui s’y est collé. Voix de velours, œil de lynx et crinière blanchie sous le harnois du Conseil d’...tat, il lit les trois pages du chef de l’...tat avec autant d’application que s’il s’était agi d’un arrêt juridique. Une seconde nature. Depuis que, tout jeune énarque, il a franchi en 1958 les grilles de la place du Palais-Royal, il a eu le temps de polir la méthode. Et de l’affiner au sein de ces diverses institutions pour qui le recrutement de "
quelqu’un du Conseil" constitue, autant qu’une assurance, une marque de standing. C’est dans cette eau-là qu’on vient pêcher les "dir’cab" des ministres. Pourtant, bizarrement, la biographie de Michel Gentot, aussi fournie, à 69 ans, qu’une liste de courses pour famille nombreuse, n’indique aucune incursion en politique. Il aurait pu, lui qui préside aux destinées de la CNIL depuis 1998, faire un bon dir’cab. "
Mais, dit-il en riant par avance de tant d’audace,
je n’aime pas les coups de sonnette !" Précision de l’image ? "
Je ne peux pas supporter d’être pieds et poings liés devant un patron, éventuellement politique !" Par trois fois, on lui a pourtant proposé un poste : deux fois à droite (Michel Debré, Léo Hamon) et une à gauche (Henri Nallet). Il n’a pas donné suite.
Deux ans au PC
Pourtant, la politique l’a titillé. Assez jeune. Et pas du côté qu’on imagine dans ce XVIe arrondissement où il tient, souvent, table ouverte le dimanche. Il a commencé au PC, mais oui, même si c’est difficile à concevoir aujourd’hui, depuis son spacieux bureau de la CNIL où trône, institution oblige, un portrait de Chirac. Comme lui, Gentot vendit l’Huma, entre 18 et 20 ans, mais à la Sorbonne où il étudiait les lettres. Ce fils d’assureur, né à Charmes (Vosges), avait connu durant la guerre, dans le Vaucluse où sa famille vivait alors, des résistants communistes des maquis du Ventoux. La guerre d’Indochine signera son engagement au PC durant deux ans, jusqu’à l’heure du service militaire. Après ? La voie royale : Sciences-po, l’ENA (promotion "18 juin", celle de Michel Rocard) où il "sort" au Conseil d’...tat. Ainsi le veut l’usage pour les meilleurs de l’école. À peine arrivé, pourtant il prend la tangente. En 1958, direction : le secrétariat général pour les affaires algériennes. L’Algérie, il la découvre, de près, en 1965, après la décolonisation. "Je suis de cette génération qui a eu la chance de ne pas porter l’uniforme en Algérie", glisse-t-il, pour mémoire. Il gèrera, à son échelle, les contrecoups de la décolonisation : conseiller juridique à l’ambassade d’Alger durant deux ans, il s’y décrit en "homme à tout faire d’un droit fragile à l’époque" chargé de régler la situation des 10 000 pieds-noirs qui restent et acteur des discussions sur le pétrole.
La peur d’un sous-ministère
Certains de ceux qui l’ont côtoyé le décrivent comme un tenant de la "deuxième gauche". Il continuera son chemin parisien sur la rive du même nom, nonobstant des incursions dans quelques institutions internationales (le Fonds monétaire international et l’Organisation internationale du travail). Son bureau à la CNIL fait pratiquement face à une institution qu’il administra pendant cinq ans : Sciences Po, dont il fut secrétaire général, puis directeur. Dans deux ans, quand la Commission déménagera, il fera rue commune avec l’ENA. Lui qui a - aussi, et par deux fois - présidé la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), y a trouvé son compte de contre-pouvoirs à sa dimension. La loi qui doit réformer la CNIL, la doter de plus de pouvoirs et de moyens plus importants, "je ne la verrai pas", dit-il. Et, sans présager de l’avenir, ce n’est pas forcément un regret : "Si un jour la CNIL devait devenir un sous-ministère de 300 personnes, ça me ferait un peu peur..."