

5/10/2000 • 00h00

Le patronat enseigne l’économie en ligne

Après un an et demi de travail, l’Institut de l’entreprise a mis en ligne Melchior. Un site dont l’ambition est de "simplifier" le programme d’économie de terminale. Le projet laisse les enseignants dubitatifs.
Melchior est en ligne. Un site au nom de roi mage pour porter la bonne parole économique. Melchior se destine aux profs et élèves de terminale ES, en affichant un credo ambitieux : "simplifier les sciences économiques et sociales". Le projet émane de l’Institut de l’entreprise, une association regroupant une centaine de sociétés. Une signature connotée et contestée. Jean-Pierre Boivison, le secrétaire général, ancien directeur d’HEC, s’en défend : "Il est très curieux de voir qu’en France les entreprises n’ont pas de légitimité à apporter leur interprétation de l’économie." Pendant un an et demi, l’Institut de l’entreprise a fait plancher universitaires, enseignants et spécialistes privés pour proposer une interprétation du programme d’économie de terminale. Seuls les trois premiers chapitres du programme ont été finalisés. Les autres ne seront disponibles qu’en novembre. Pourquoi une telle démarche ? Jean-Pierre Boivison l’explique posément : "Les manuels d’économie de terminale ont une vision très keynésienne. On y parle beaucoup du rôle des pouvoirs publics, mais peu du marché et de l’entreprise. Melchior offre un outil de travail avec des points de vue différents."
Les enseignants de cette discipline, habitués aux critiques récurrentes du patronat, ne sont pas étonnés par l’argumentaire. "Le reproche est classique et complètement faux. L’entreprise est présente dans le programme d’économie de la seconde à la terminale", commente Pierre Giezek. Président de l’Apses (Association des professeurs de sciences économiques et sociales), il n’est pas du tout convaincu par les premiers chapitres mis en ligne. Même s’il reconnaît que certains documents seraient utilisables en cours, à la condition de "les sortir de leur contexte, car Melchior est clairement orienté, avec des contenus peu problématisés". Et de lâcher : "En fait, ça s’apparente plus à un pseudo-raisonnement, à une sorte de prêt-à-penser libéral qu’à un véritable cours d’économie."
Enseigne au lycée Thiers (Marseille) et membre d’Action-ES, une autre association de professeurs d’économie, Alain Beitone partage la même analyse : "En fait, ça confirme complètement mes inquiétudes. Les règles les plus élémentaires du pluralisme ne sont pas respectées. Ce site est conçu dans une perspective de pédagogie libérale avec en arrière-plan l’idée que les profs d’économie sont tous de dangereux marxistes." Le prof cite en exemple le chapitre intitulé Le débat sur la fin du travail, une question polémique en économie, mais expédiée par Melchior en deux certitudes : "Ces thèses sont contredites par les faits" et "Elles s’appuient sur des arguments invalides." Pour Alain Beitone : "Toute une analyse est mise à la trappe. C’est exactement le contraire de notre boulot qui est de former nos élèves à la contradiction et au débat." L’institut de l’entreprise se défend bien évidemment en précisant : "Nous ne prétendons pas à l’objectivité. " C’est d’ailleurs ce qui fait dire à Pierre Giezek : "J’utiliserais ce site comme un exercice pour montrer à mes élèves ce qu’il ne faut pas faire."
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