Une porte pour sortir des hydrocarbures, dont la clef est au fond d’un puits de pétrole...
Le moteur à hydrogène, une technologie non polluante qui pourrait remplacer le moteur à essence, trouve de plus en plus de partisans dans les milieux politiques et économiques de pays industrialisés, à commencer par les Etats-Unis. Mais à bien y regarder, recourir massivement à l’hydrogène pour dépolluer le parc automobile a tout d’une mission impossible.
Le 28 février dernier, tandis que le monde attendait de savoir si l’Irak allait être envahi ou non, un revirement majeur dans la politique énergétique américaine est passé pratiquement inaperçu. Ce jour-là, dans son discours sur l’état de l’Union, le président Bush s’est dit prêt à faire en sorte "que la première voiture conduite par un enfant qui naît aujourd’hui puisse être une voiture à l’hydrogène, inoffensive pour l’environnement". Cet engagement était assorti d’une première enveloppe de 1,1 milliard d’euros, destinée à soutenir les recherches de l’industrie automobile américaine en faveur de l’hydrogène.
Simultanément, l’administration républicaine passait à la trappe un autre programme écologique pour l’automobile. Mis en place par Bill Clinton, ce plan d’aide devait permettre de diviser par quatre la consommation d’essence des voitures américaines, pour la ramener aux alentours de 3,5 litres aux 100 kilomètres. Un objectif très loin d’être atteint aujourd’hui.
L’espoir officiel de l’Amérique
Avec 210 millions de voitures, les Etats-Unis sont à eux seuls responsables du tiers des émissions mondiales de CO2, un gaz à effet de serre qui cause l’essentiel du réchauffement climatique. Le moteur à hydrogène, lui, n’émet pas de CO2. Désormais, grâce à George Bush, il devient officiellement le principal espoir de l’Amérique pour réduire les effets d’un futur changement climatique.
L’espoir est-il vain ? Probablement.
Que l’hydrogène permette un jour aux Etats-Unis de réduire leur dépendance énergétique à l’égard du Moyen-Orient est une chose. Qu’il devienne le carburant propre pour les voitures d’un pays entier, c’est une toute autre affaire.
Il existe déjà dans le monde des dizaines de prototypes à l’hydrogène. Ils fonctionnent grâce à une pile à combustible produisant de l’électricité et ne dégageant que de l’eau. Plusieurs constructeurs, dont Daimler-Chrysler, Ford et General Motors, comptent commercialiser leurs premiers modèles vers 2008.
Le discours de Bush a réveillé l’enthousiasme pour une technologie déjà ancienne et bien maîtrisée aujourd’hui. Un exemple : dans son numéro d’avril 2003, Wired, le très influent magazine technologique américain, n’hésitait pas à publier une longue tribune intitulée "Comment l’hydrogène peut sauver l’Amérique".
L’électrolyse ne fera que déplacer le problème
Malheureusement, l’hydrogène n’existe quasiment pas à l’état brut sur Terre. Pour que le plus simple des éléments chimiques puisse être exploité et stocké, il doit d’abord être séparé de l’oxygène, avec lequel il forme la molécule d’eau (H2O). Et pour le séparer, il faut de l’énergie - de l’électricité - en très grande quantité.
Plus on créera de piles à combustible, plus il faudra de centrales électriques nécessaires à la production d’hydrogène. Si l’électricité est fabriquée principalement avec du pétrole ou du charbon, comme c’est le cas dans la quasi-totalité des pays (mis à part la France, la Suède et la Suisse), cela ne fera que déplacer le problème. "Les émissions de CO2 nécessaires à la production d’hydrogène seront alors supérieures à celles engendrées par les voitures à essence", explique Jean-Marc Jancovici, un ingénieur-conseil spécialiste des questions énergétiques, récemment nommé par le gouvernement français président du comité consultatif du débat national sur l’énergie.
Si un pays voulait faire de la voiture à hydrogène un véhicule réellement propre, il faudrait qu’il n’utilise que des centrales électriques qui ne dégagent pas ou peu de CO2. Dans le cas des Etats-Unis, cela impliquerait qu’ils remettent à plat l’ensemble de leur filière de production électrique. Un petit détail que George Bush a omis de préciser dans son discours sur l’état de l’Union.
De plus, faire passer tout un parc automobile à l’hydrogène suppose d’augmenter considérablement la production d’électricité. Pour un pays comme la France, selon Jancovici, la surproduction nécessaire serait de l’ordre de 50 % par rapport à la production actuelle, avec un parc automobile constant. Or, ce dernier croît... Seule l’énergie nucléaire pourrait permettre de réaliser un tel saut quantitatif, sans faire exploser les quantités de gaz à effet de serre émises. Une solution qui ne découragera pas que les écologistes.
Compte-à-rebours moins 40 ans
Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) a rendu public début mars un rapport qui tempère largement les espoirs que suscite le moteur à l’hydrogène. Selon cette étude, "même avec une politique très ambitieuse, le moteur à hydrogène ne sera pas meilleur pour l’environnement qu’un moteur hybride fonctionnant à l’essence et à l’électricité".
L’étude du MIT précise qu’aucun pays ne serait capable de mettre en place un circuit "propre" de production et de distribution d’hydrogène "avant 30 ou 40 ans au mieux". Cette échéance correspond à peu de choses près à l’épuisement des ressources en pétrole prouvées par l’industrie. D’ici là, si les tendances actuelles se poursuivent, le parc automobile mondial pourrait atteindre 2 milliards de véhicules, contre 600 millions aujourd’hui.
L’hydrogène est donc bien une solution miracle. Or les miracles, de nos jours, ça ne court pas les autoroutes.