Lancé en grandes pompes au début de l’année, le livre électronique peine à convaincre les lecteurs. Et subit la concurrence des ordinateurs portables et autres PDA.
"Le livre électronique n’a pas répondu aux espoirs (qu’il suscitait). Il est redescendu sur terre." Les propos de Sabine Kaldonek, porte-parole du Salon du livre de Francfort, grand-messe de l’édition mondiale, sont sans concession. En fait, le livre électronique, présenté il y a quelques mois comme une véritable révolution, a visiblement quelques difficultés à s’imposer auprès des lecteurs. Coincé entre des ordinateurs portables toujours plus petits et des PDA omniprésents, qui permettent également de télécharger et de lire des textes sur écran, le livre électronique stricto sensu cherche encore sa voie. La poignée de sociétés qui les fabrique (les Américains Gemstar, Franklin et le Français Cytale) sont d’ailleurs très discrètes sur les chiffres de ventes de leurs produits. Seuls chiffres communiqués, ceux de l’américain Gemstar : le leader du marché avait écoulé, en mai dernier, 60 000 livres électroniques... "En tant que juriste, je relis souvent des manuscrits sur un livre électronique afin d’y dénicher d’éventuels propos diffamatoires. Cela m’évite de balader avec les manuscrits sous le bras. Mais, à mon sens, l’usage du support électronique reste pour l’instant majoritairement cantonné à la sphère professionnelle", explique Florence-Marie Piriou, juriste à la Société des gens de lettres.
Proust and Co
Interrogé par Transfert sur les usages du livre électronique, l’écrivain Martin Winckler doute également du succès de l’outil pour ce qui concerne la sphère littéraire. "Il en va tout autrement pour les livres techniques : consulter à partir de son livre électronique une somme de publications scientifiques relève de la recherche dans une base de données. Comme sur un ordinateur. En revanche, l’approche de la littérature demeure, selon moi, non rationnelle. Il existe un rapport physique qui lie le lecteur à un livre, dans le plaisir de tourner les pages, par exemple." Pour Thierry Brethes, PDG de mobipocket, qui a développé un logiciel de lecture (primé de lors du dernier Salon du livre de Francfort) pour les PDA et les livres électroniques, le choix du catalogue est primordial. "Proposer un contenu de littérature générale ne présente pas un grand intérêt. Qui a envie de lire la Princesse de Clève sur un support électronique ? Nous croyons plus à un contenu technique : des guides de voyages, des dictionnaires ou des encyclopédies médicales", explique le patron Mobipocket, dont l’actionnaire principal est Vivendi. En outre, les prix des livres électroniques ont véritablement de quoi refroidir les ardeurs d’éventuels adeptes. Cybook, le livre électronique commercialisé par la société française Cytale (promue par Jacques Attali et ...rik Orsena) est vendu à 5 790 F. Sans parler de la frilosité du monde de l’édition à l’égard du livre électronique.
Vingt millions de PDA
"Pour un libraire électronique américain, développer du contenu compatible à une lecture sur un e-book, comme celui vendu par Cytale, n’est pas une priorité. À l’heure actuelle, il y a, par exemple, une vingtaine de millions de PDA dans le monde. Pour combien de livres électroniques ?", explique Claire Touchard, chargé du développement des sites de langues européennes chez PublischingOnline, un libraire américain proposant un catalogue de 3 000 ouvrages anglais sous format PDF. Et près de 250 titres sur le site en langue française ouvert depuis quelques jours. La prochaine phase de développement du libraire américain consistera, d’ailleurs, à rendre accessible son catalogue sur les PDA. Conscients des difficultés à s’imposer sur un marché embryonnaire, les acteurs du livre électronique (fabricants, éditeurs, développeurs) se sont très tôt réunis au sein du consortium Open E-book Forum. L’objectif : se prémunir d’une guerre de formats (du type VHS-Beta pour le marché des magnétoscopes dans les années 80), dont les conséquences pourraient être catastrophiques, en adoptant un standard technologique commun. "Nous sommes qu’à la préhistoire de l’édition électronique. Il est donc trop tôt pour condamner telle ou telle technologie. Il reste beaucoup à inventer, notamment en développant du contenu spécifique à l’édition électronique. Il faut ajouter une réelle plus value et ne pas se contenter d’une simple reproduction numérique", prévient Claire Touchard. Et certainement revoir, si possible, les prix à la baisse...