Le gouvernement prêt à définir la politique énergétique pour les prochaines décennies
Concurrence, pénurie, réchauffement climatique : l’électricité française change d’ère
L’avant-projet de loi d’orientation sur les énergies, dont Transfert a pu obtenir une copie, doit être présenté en conseil des ministres au début du mois de novembre. Son examen par l’Assemblée nationale est prévu pour le mois de janvier prochain. C’est un texte essentiel, qui fixe le cadre général de la politique énergétique pour les décennies à venir : il entérine l’entrée de l’électricité française dans l’ère de la concurrence, du réchauffement climatique et d’une possible pénurie des sources d’énergie fossiles. Elaboré par le ministère de l’Industrie, l’avant-projet de loi confirme le rôle prépondérant du secteur nucléaire et fixe une feuille de route pour le développement des énergies renouvelables. Le texte crée plusieurs instruments nouveaux pour inciter à réduire la consommation d’électricité, notamment un marché d’échange de certificats d’économie d’énergie, déjà mis en place en Grande-Bretagne et qui devrait entrer en vigueur en France en 2005.
L’avant-projet de loi sur l’énergie proposé par la ministre déléguée à l’industrie, Nicole Fontaine, confirme sans surprise la place primordiale de l’atome dans la politique énergétique française. Pour respecter ses engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto sur la lutte contre le changement climatique, la France doit "disposer d’un parc de production d’électricité faisant une large place au nucléaire", avance le texte de la future loi.
4 fois moins de gaz à effet de serre d’ici à 2050
La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est une aubaine pour le secteur nucléaire, qui fournit près de 80 % de l’électricité en France. Les centrales atomiques n’émettent pas plus de CO2 (le gaz considéré comme le premier responsable du réchauffement du climat) que les énergies renouvelables : un argument utilisé pour contrer ceux qui rejettent le nucléaire au nom de la défense de l’environnement.
Le texte que Nicole Fontaine s’apprête à présenter au Conseil des ministres réaffirme l’objectif de développement des énergies renouvelables fixé par la Commission européenne : 21 % de la production totale d’électricité d’ici à 2010. La France en est à 15 %, essentiellement grâce à un parc de barrages hydroélectriques important mais vieillissant et pratiquement parvenu à saturation. La future loi ne fournit pas d’objectifs chiffrés de développement des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques, et précise que l’hydroélectrique "constituera encore à terme la majeure partie (des énergies renouvelables)."
La politique énergétique française entre dans l’ère de la lutte contre le réchauffement du climat. Après le Royaume-Uni et l’Allemagne, la France se fixe un ambitieux objectif à long terme : "diviser par 4 ses émissions de gaz à effet de serre (...) à l’horizon 2050 par rapport à leur niveau actuel". Atteindre cet objectif nécessiterait une modification profonde des habitudes de consommation des Français : "Il demande des actions dépassant le strict cadre de la politique énergétique", confirme l’avant-projet de loi.
De l’eau et du gaz
Pour la première fois dans l’histoire de la politique énergétique française, la future loi d’orientation prend en compte les risques que fera peser une augmentation des températures moyennes sur la production d’électricité. La baisse du niveau des cours d’eau pendant de longues périodes de canicule (comme celle que la France a connue cet été) rend précaire le fonctionnement des centrales nucléaires et les barrages hydroélectriques, qui fournissent plus de 90 % de l’électricité de l’Hexagone. L’avant-projet de loi souligne que la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel est indispensable "dans des conditions climatiques particulièrement difficiles".
Autre première, la pénurie des sources d’énergie fossiles et non-renouvelables (charbon, pétrole, gaz naturel et uranium) est prise en compte. Tandis que de nombreux experts en hydrocarbures annoncent une diminution de la production de pétrole dès la prochaine décennie, le texte de l’avant-projet prévoit sobrement que "les opérateurs énergétiques doivent intégrer dans leur stratégie de développement les effets et conséquences liés à l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables".
Assurer le minimum
L’avant-projet de loi définit un "niveau minimal de sécurité d’approvisionnement" : "Ce niveau minimal est atteint lorsque le parc français (de production d’électricité) n’est plus en mesure, à un horizon de 5 ans et avec une probabilité de 90 %, d’assurer la continuité de la fourniture à tout moment de l’année." Cette évaluation doit tenir compte d’un amenuisement possible de la quantité de sources d’énergie fossiles disponibles à l’importation et... "des aléas du climat".
Un expert du cabinet de Nicole Fontaine précise : "Ce niveau minimal de sécurité d’approvisionnement était déjà pris en compte par EDF. Mais avec l’imminence de l’ouverture du secteur énergétique français à la concurrence, il est plus prudent de lui donner force de loi."
La loi d’orientation prépare le terrain à cette ouverture à la concurrence de la fourniture d’électricité, décidée par la Commission européenne dans une directive de décembre 1996. Elle réaffirme le principe d’unicité du prix de l’électricité : "La desserte en électricité sur tout le territoire national (est garantie) à un coût ne dépendant pas pour l’utilisateur de sa situation géographique."
Bourse au gaspillage
L’avant-projet de loi définit plusieurs nouveaux outils permettant de systématiser une politique d’économie d’énergie "encore trop parcellaire et limitée à un nombre restreint de secteurs d’activité", dit l’expert auprès de Nicole Fontaine. Il précise : "Ces outils doivent permettre d’assurer la prise en compte de la volonté de l’Etat de faire diminuer la consommation d’énergie dans un contexte de privatisation du secteur." L’ouverture du capital d’EDF au privé, envisagée par le gouvernement, rencontre l’opposition de très nombreux acteurs, comme le Réseau des résistances électriques et gazières.
Côté production d’électricité, les industriels sont rendus en partie responsables des économies d’énergie de leurs clients. Un système d’échange de certificats d’économies d’énergie, qui existe déjà en Grande-Bretagne, devrait être mis en place début 2005. Il concerne les distributeurs d’électricité (EDF, GDF et leurs futurs concurrents) : s’ils refusent de financer directement des programmes d’économie d’énergie, la loi les obligera à "acheter", sous forme de certificats, des programmes mis en place par d’autres acteurs, comme les collectivités locales ou les administrations et entreprises extérieures au secteur de l’énergie.
Dans le même esprit, toute entreprise du secteur de l’énergie faisant de la publicité devra reverser 20 % de ses dépenses publicitaires pour financer des campagnes de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
Le retour de l’éco-taxe ?
Le logement est l’un des secteurs les plus problématiques en termes d’économie d’énergie. La loi prévoit que l’Etat et les collectivités territoriales peuvent recourir à un contrat de crédit-bail (pour faire construire un immeuble HLM, par exemple) sous condition : "dans la mesure où cela permet la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergie renouvelable."
Autre mesure importante : à partir d’une certaine taille, tout projet d’aménagement urbain et de création ou de déplacement de bâtiments administratifs, industriels et commerciaux "doit faire préalablement l’objet d’une étude d’impact énergétique (...) explorant les différentes voies possibles pour diminuer (cet) impact". Le législateur doit encore définir un seuil minimal, en termes de nombre de personnes concernées par les projets.
L’avant-projet de loi réouvre enfin un peu la porte à l’idée d’une éco-taxe sur les produits énergétiques. Proposée par le gouvernement Jospin, elle avait été retoquée en 2000 par le Conseil constitutionnel. Le texte indique que "la fiscalité des énergies fossiles et celle des énergies renouvelables (...) doit inciter à une plus grande maîtrise des consommations d’énergie".
Au mois de novembre l’énergie comptera beaucoup pour le gouvernement Raffarin, puisque la présentation de cette loi d’orientation précèdera de quelques semaines celle du "Plan climat 2003", prévue le 27 novembre. Ce plan doit proposer une batterie de mesures pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Il est jugé pour l’instant insuffisant par les principales associations françaises de protection de l’environnement.