L’académie des technologies a remis un rapport au gouvernement en faveur de la brevetabilité des logiciels. Sous certaines conditions. Une position que devrait adopter la France.
Depuis plusieurs mois, experts en propriété intellectuelle et partisans du logiciel libre attendent la position officielle du gouvernement français sur la question de la brevetabilité des logiciels. Bruxelles, qui prépare une directive sur le sujet, attend d’ailleurs de connaître l’avis officiel des ...tats membres. La France devrait communiquer le sien fin août, début septembre. Et semble s’orienter vers une extension du domaine du brevet aux programmes informatiques. Un point de vue que l’on sentait venir au gré des discussions avec les fonctionnaires en charge du dossier. Point de vue défendu récemment par un groupe d’étude interministériel qui a remis son avis à Matignon ainsi que par l’académie des technologies, chargée d’un rapport par le secrétariat d’...tat à l’industrie. ...manation de l’académie des sciences, ce récent cénacle composé de chercheurs, juristes et économistes se donne pour mission "d’éclairer la société afin d’utiliser aux mieux les technologies actuelles et futures". Dans son rapport, elle estime qu’il doit être possible de breveter certains logiciels "en se donnant les moyens nécessaires pour avoir des brevets de qualité". Des moyens qui passeraient par une compétence accrue des personnels chargés d’examiner les demandes, la constitution d’une base de données thématiques européenne et la création d’un fonds de soutien aux PME embringuées dans des procès en contrefaçon de brevet.
Interview de Pierre Perrier, délégué général de l’académie et ancien directeur de la recherche chez Dassault Aviation.
Dans la liste des personnes auditionnées ne figurent pas les représentants des logiciels libres, principaux opposants à la brevetabilité. Pourquoi ?
Nous avons chargé deux personnes de faire un rapport sur l’ensemble des positions défendues par le milieu du logiciel libre, car c’est un monde trop hétérogène et nous ne voyions pas pourquoi rencontrer une association plutôt qu’une autre.
Pour quelle raison défendez-vous la brevetabilité ?
Dire que les inventions liées aux logiciels ne sont pas brevetables ne nous semble pas recevable. Certains argumentent que l’on permet de breveter des maths pures. Mais ce n’est pas vrai. Lorsqu’il y a une réelle activité inventive et une réelle possibilité d’application technique de l’invention, il y a matière à breveter. Cette protection, d’ailleurs, n’étant pas obligatoire.
Les opposants aux brevets dénoncent justement le manque de précision de la définition de ce qu’est un "effet technique"...
Si un logiciel n’est qu’une application d’une formule mathématique, il n’y a pas d’invention, on reste dans la connaissance et ça n’est pas brevetable. S’il s’agit d’une combinaison astucieuse qui permet d’obtenir un effet, il s’agit d’une invention, qui fait appel au travail d’un ingénieur. Mais pour que ce système fonctionne, il faut que les brevets soient de qualité et précis dans leur description. Vous ne pouvez pas par exemple prétendre déposer un brevet sur un procédé destiné à fermer une fenêtre à distance si vous vous contentez de désigner l’effet que vous voulez obtenir sans détailler les moyens que vous mettez en œuvre.
Certains estiment qu’en informatique, il n’y a pas trente-six façons d’arriver à un résultat et qu’on aboutira à breveter des concepts ?
Je ne crois pas. À mon avis, les partisans des logiciels libres ont mal compris le sens des brevets. Il ne s’agit pas d’un droit de propriété sans contrepartie. Celle-ci est la publication. L’inventeur se doit d’expliquer publiquement comment il procède. Soit l’on est suffisamment malin pour adapter cet apport à son propre besoin, soit l’invention est tellement géniale que l’on ne peut pas éviter de s’acquitter des droits afférents au brevet. Mais l’idée de fond, c’est que le brevet fait avancer l’innovation.
Aux ...tats-Unis, quantité de brevets ont été déposés sur des logiciels dont l’inventivité semble loin d’être évidente ?
Oui, certains brevettent même des algorithmes. C’est pourquoi nous plaidons pour que l’Europe forme des gens compétents en informatique pour éviter de breveter n’importe quoi. Par ailleurs, il est indispensable de créer une base de données thématique sur laquelle les offices nationaux des brevets pourront faire des recherches d’antériorité. Et de fournir un cadre de réflexion cohérent en précisant le sens des termes employés, par exemple la notion d’effet technique.
Un des principaux risques du système est de voir de grosses entreprises asphyxier des PME sous les procédures ?
Oui. Toute recherche d’antériorité sur une invention coûte très cher. C’est pour cela que nous préconisons un fonds de garantie européen pour que les petites entreprises puissent se défendre.
Si les ...tats-Unis maintiennent leur politique de brevet, la question devra se résoudre de toute façon au niveau international ?
Il faut mener en Europe une bagarre de rigueur que les ...tats-Unis ont renoncé à mener par un laxisme aux sous-entendus commerciaux. Il me semble qu’il vaut mieux commencer par mettre en place ici un système rigoureux plutôt que de céder à un désordre général.