Le feuilleton littéraire revient... en ligne
Le prochain livre de Martin Winckler sera d’abord publié en ligne. Chaque matin (pendant 160 jours), les internautes recevront gratuitement, sous forme de mail, un chapitre de Légendes.
Martin Winckler est notamment l’auteur de La Maladie de Sachs qui racontait la vie quotidienne d’un médecin de campagne. Un best-seller récompensé par le prix du livre Inter en 1998 et qui a fait l’objet d’une adaptation au cinéma. À partir du 3 septembre prochain, la maison d’édition P.O.L publie sur Internet son nouveau livre, Légendes, un ouvrage autobiographique autour du thème des fictions. Chaque matin, du lundi au vendredi, les internautes recevront, pendant 160 jours et dans leurs boîtes électroniques, un nouveau chapitre de Légendes. En mars 2002, le livre sera vendu dans les librairies. Martin Winckler, écrivain et médecin, explique les raisons de cette expérience.
De quoi traite votre nouveau livre Légendes ?
C’est un livre autobiographique sur les fictions qui m’ont aidé à grandir. Des fictions sous toutes les formes : de la télé en passant par la bande dessinée ou encore les bouquins de science-fiction. Mais également celles que je me suis inventées ou que l’on m’a racontées. Vous savez, ce genre d’histoires que les parents racontent à leur progéniture sur leur enfance. C’est un livre qui traite de ma relation avec un ensemble très vaste de ses fictions. Et des rapports entre la mémoire et l’imaginaire. Selon moi, il n’y a pas de mémoire sans imaginaire. Vous ne vous souvenez jamais d’un fait exactement, sans qu’une dose d’imaginaire n’intervienne dans la reconstruction de la mémoire.
Pourquoi avoir opté pour ce mode de publication ?
Légendes a été conçu, à l’origine, comme un feuilleton. Un ensemble de chapitres assez courts, indépendants les uns des autres, et qui peuvent se lire de manière linéaire ou non. Ce mode de publication, par le biais de courrier électronique [un envoi de chapitre par jour, NDLR] m’a paru le mieux adapté. En recevant un chapitre tous les jours, le lecteur est lié de manière temporelle à l’histoire. Cette manière de publier restitue fidèlement la façon dont j’ai écrit cette autobiographie, c’est-à-dire chapitre par chapitre. Un résultat impossible à obtenir avec une version papier. À la fin de chaque chapitre envoyé par mail, j’ai inséré des mots, autant de liens vers d’autres fictions du livre. Ce ne sont pas des liens hypertexte, mais des invitations à voyager dans le récit. Selon moi, la mémoire d’un ordinateur fonctionne à l’identique de la mémoire de l’homme, c’est-à-dire par associations d’idées.
Que pensez-vous du livre électronique ?
Je pense qu’il ne remplacera jamais le livre papier. Au moins pour ce qui concerne la sphère littéraire. Il en va tout autrement pour les livres techniques : consulter à partir de son livre électronique une somme de publications scientifiques relève de la recherche dans une base de données. Comme sur un ordinateur. En revanche, l’approche de la littérature demeure, selon moi, non rationnelle. Il existe un rapport physique qui lie le lecteur à un livre, dans le plaisir de tourner les pages, par exemple.
Internet est-il pour vous un outil de travail ?
Oui, et à plusieurs titres. D’abord, c’est un moyen d’échange que j’utilise quotidiennement dans mon travail. En tant qu’écrivain, je me sers également d’Internet comme d’une immense base de données, une bibliothèque interactive. Je viens d’achever un livre sur la contraception (1) pour lequel j’ai effectué pas mal de recherches sur la Toile : sur les différents moyens de contraception, par exemple, ou encore comment les différents pays abordaient ce thème. Pour mon nouveau livre Légendes, le Réseau ne m’était pas d’une grande utilité puisque qu’il s’agissait de puiser dans ma mémoire et dans un ensemble de documents personnels. Au début, j’ai pensé à illustrer le livre et je comptais chercher des photos sur la Toile. Par exemple d’Alger, la ville où je suis né, dans les années 50. Finalement, ça ne s’est pas fait...
Suivez-vous de près l’actualité des nouvelles technologies. Par exemple, le débat sur le contrôle, la régulation de l’Internet ?
De près, pas vraiment. Mais mes premiers contacts avec l’ordinateur remontent à une quinzaine d’années et je suis connecté au Réseau depuis plusieurs années. Je suis pour le partage du savoir. Au regard de la structure de l’Internet, tout débat sur son contrôle est, techniquement, voué à l’échec. Ou alors il faudrait couper toutes les lignes téléphoniques ! Franchement, Internet ne me fait pas peur. On parle souvent de pédophiles ou de nazis sur la Toile, mais ceux-ci disposaient déjà de leurs canaux d’information avant la naissance d’Internet. Je ne vois pas ce que ça change : les sites pédophiles sont toujours fréquentés par des pédophiles. Ça me rappelle le débat à propos de la responsabilité de la télévision dans la violence. La télé rend-elle violent ? À Toronto et à Chicago, des villes très proches géographiquement qui ne sont séparées que par une frontière, les gens regardent les mêmes programmes de télévision. Pourtant, la violence est beaucoup plus importante à Chicago qu’à Toronto. On oublie souvent qu’Internet est surtout un mode de dialogue, une source de compréhension mutuelle. J’ai des enfants qui disposent d’une connexion à la maison et ils ne vont pas sur des sites pédophiles, parce que ça ne les intéresse pas, tout simplement. Sur Internet, ils passent leur temps à communiquer avec des potes...
(1) Contraceptions mode d’emploi, octobre 2001 (Diable Vauvert)