Auteur d’un essai paru à l’automne, le sociologue Philippe Breton discerne un fanatisme quasi religieux chez les chantres du Réseau. Passable à l’écrit, son discours tient moins à l’oral.
Ce soir-là, d’autres arguments se sont succédé, hétéroclites, venus d’un peu partout. Sur l’Internet : "Tout le monde peut lire votre courrier." Patelins : "Si vous tapez ‘AK47’ ou ‘Kaddhafi’, vous pouvez presque entendre ronronner les ordinateurs de la NSA." Faussement blasés : "Ce futur-là a déjà 50 ans." Subjectifs : "Sur le Web, on ne sait plus si l’on parle à une machine ou à un être humain." Généralisateurs : "La réalité de ceux qui se consacrent entièrement au Web est celle de l’enfermement et de l’autisme." Mais dans la salle, qui entend ce "entièrement" ? Et quand Philippe Breton avance que la dépression et la désocialisation sont des corollaires de l’abus de Net, il ne manque pas d’invoquer le sociologue Alain Ehrenberg qui a beaucoup étudié ces deux maux dans le cadre de l’accoutumance aux drogues.
Usage limité aux e-mails
L’équation est limpide, et d’ailleurs applicable à pas mal de choses : comme tout ce qui mêle la séduction et le danger, l’Internet exige un usage modéré. D’autant plus modéré que cette tentation en induit d’autres : avec le Web, a déclaré Philippe Breton, des pédophiles ont fait des choses "qu’ils n’auraient pas forcément faites". Mais fait quoi au juste ? Regarder des photos en ligne ? Violer des enfants ? Où ? Depuis combien de temps ? Que veut dire cette phrase, et d’où Breton tient-il cette certitude ? Le public n’en saura pas plus. Le conférencier lui-même n’en sait sans doute guère davantage. Philippe Breton, pour sa part, pratique l’Internet. Il affirme en limiter l’usage aux e-mails et à la visite occasionnelle d’un site. Une modération sans doute salutaire et qui n’a rien d’attaquable, mais qui ne s’accompagne pas, dans les propos du sociologue, d’une sérénité à la hauteur. Or, entre l’usage minimal et la monomanie idéologico-religieuse de quelques uns, s’étend un vaste espace que le sociologue, tout à son rythme ternaire, ne s’attarde pas à décrire et qu’il ne semble pas avoir arpenté. Cet espace de l’Internet inclut le plaisir. Celui de la découverte, de l’exploration, des surprises. Il concerne le travail ou le farniente. Il inclut aussi, à sa manière, l’idée de "bon outil" - chère à un auteur qui a pourtant l’âge d’avoir compris que les autos, les livres, les voiliers, les appareils photos, les stylos à bille, n’étaient pas juste de "bons outils", mais portaient, pour qui sait voir, quelque chose de plus. Les ordinateurs connectés à l’Internet n’y font pas exception. La passion n’est pas la dépendance.(début
de l’article)
Le Culte de l’Internet, une menace pour le lien social ?
Philippe Breton, La Découverte collection "Sur le Vif", 124 pages, 42 francs.
Extrait du
Culte de l’Internet de Philippe Breton:
http://www.monde-diplomatique.fr/20...
Conférence de Philippe Breton à l’Institut d’Informatique:
http://www.info.fundp.ac.be/~bvb/Br...
Lettre ouverte (excellente) à Philippe Breton publiée sur le Minirezo:
http://www.minirezo.net/article224.html