Faire plier Total. C’est le rêve et le combat de Bernard Tailliez, directeur d’un petit laboratoire dans le Var. Avec pour seules armes, ses analyses chimiques et Internet.
Bernard Tailliez
Max PPP |
Il tient à commencer par le début. Ses études de chimie à Marseille, sa femme, ses gosses, ses cinq ans aux ...tats-Unis, son retour en France. Et enfin l’affaire
Erika. Comme l’aboutissement de toute une vie. Bernard Tailliez, 58 ans, sourit : "
Tout est lié."
En 1989, l’homme se retrouve sans boulot et décide de fonder Analytika, un petit laboratoire d’analyses chimiques dans le Var, qui, depuis le naufrage du pétrolier en décembre 1999 au large des côtes bretonnes, martèle "
Total ment, Total est hors la loi". La voix était douce pour retracer son parcours. Pour raconter l’
Erika, son poing se ferme et frappe la table, le ton monte. La colère. Car cet amoureux de la Bretagne, terre de sa femme, d’aïeux et de quelques vacances, a analysé des extraits de "
la merde noire déversée sur les côtes". Ses conclusions sont formelles : "
La cargaison de l’Erika
n’est pas, comme on voudrait nous le faire croire, du fioul n°2, mais un déchet toxique spécial que Total n’avait pas le droit de transporter." Pour lui, cela ne fait aucun doute, Total doit maintenant payer la totalité des frais de dépollution. Un argumentaire difficile à relayer pour les médias traditionnels.
Le Net, instrument de révolte
Heureusement, depuis novembre 1999, Analytika a son propre site. Quelques pages commerciales pour attirer de nouveaux clients. En janvier, une rubrique "Erika" s’y installe : toutes les recherches du laboratoire sont mises en ligne. Très vite, c’est le succès. "On ne s’attendait pas à un tel impact. Nous avons reçu rapidement des mails d’encouragement et de soutien. Nous sommes entrés dans un véritable réseau d’information alternative." Bernard Tailliez découvre un instrument de révolte. "Un instrument de puissance même : un petit laboratoire qui a l’information et qui peut la diffuser." Le teint mat, les yeux cernés mais brillants, le corps un peu voûté, il s’enthousiasme comme un gamin : "J’ai vraiment découvert un champ de liberté extraordinaire." En six mois, il s’est familiarisé avec les listes de diffusion, se fascine pour celle de Radio-phare "qui mène un combat sans relâche" et balance sur son site des lettres ouvertes sanglantes aux politiques, juges et scientifiques impliqués.
Reconnaissance tardive
Ces derniers ont fini par contre-attaquer. À l’arme lourde. Mi-juillet, un rapport d’enquête parlementaire torpille ses investigations. "Quand j’ai lu ce rapport, j’ai compris que la guerre était vraiment déclarée." Une semaine plus tard, Bernard Tailliez diffuse sur son site l’explication scientifique de ses conclusions. Il a isolé un composant, un additif chloré. Pour lui, c’est la preuve qui manquait. Sur son site, il accuse : "la présence de ce produit dans la cargaison de l’Erika constitue une falsification délibérée de marchandise." Le 15 août, le docteur André Cicolella, ingénieur à l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques), qui a mené plusieurs recherches sur la marée noire pour le gouvernement, le contacte. "Le ministère de l’Environnement nous a demandé de nous poser la même question que Bernard Tailliez et de reproduire les analyses menées par son laboratoire", explique-t-il. Une première reconnaissance pour Bernard Tailliez. Un peu tardive, tout de même. Le chimiste écolo refuse de baisser la garde : "J’ai subi une campagne de dénigrement, mettant en cause mon intégrité et mon professionnalisme. Je veux être lavé de toutes ces attaques." Il ne livrera son protocole de recherche qu’à cette condition. L’INERIS va devoir patienter. Bernard Tailliez ira jusqu’au bout de son combat.