D’un côté Davos et les costumes-cravate du Forum économique mondial, de l’autre Porto Alegre et la foule bigarrée des associatifs. Leur brève rencontre, par liaison satellite, est diffusée vendredi sur Arte et dès dimanche sur Internet. Histoire d’un dialogue difficile à établir.
Patrice BarratKarine Portrait |
Il en rêvait déjà l’année dernière. Faire communiquer les grands de la planète réunis à Davos et ceux qui contestent leur vision du monde. Patrice Barrat est un journaliste obstiné : après un refus des organisateurs de Davos l’année dernière, il réitère cette année. Le premier Forum social mondial à Porto Alegre - gigantesque rencontre de tous ceux qui refusent la mondialisation libérale - lui offre l’occasion inespérée de mener à bien son projet.
Une liaison satellite, un pont audiovisuel entre les deux villes, entre deux regards sur l’économie et la fracture sociale (numérique ou pas). L’idée est tirée de Vis à vis, un concept d’émission qu’il a inventé avec Kim Spencer, un autre journaliste. "Début décembre, les organisateurs du Forum économique mondial de Davos étaient d’accord sur le principe, explique calmement Patrice. Mi-décembre, je suis parti en Suisse pour régler avec eux quelques points. À ce moment-là, ils ont basculé, paniqué et se sont rétractés." Motif : pas assez de contrôle. "Ils nous demandaient d’avoir un droit de regard sur le montage final diffusé sur Arte, vendredi." Hors de question. Les "Davosiens" proposent alors une rencontre à une autre date, sur un autre terrain. Patrice refuse. "Ils voyaient Porto Alegre comme un anti-Davos. Accepter de discuter avec eux, c’était alors leur reconnaître une existence et une légitimité. Impossible : on ne reconnaît pas son ennemi."
Couleur contre noir et blanc
Il n’abandonne pas et déniche une église au cœur du petit village suisse, pour aménager le dialogue malgré tout. Il repart alors au charbon, convaincre les décideurs de venir discuter quand même. Son accréditation de journaliste au Forum social économique est refusée, il fait appel à des amis, journalistes dans la place. Au final, le spéculateur Georges Soros, John Ruggie, le conseiller du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, un représentant de la multinationale ABB et Marc Malloch-Brown, du programme pour le développement de l’ONU, décident de jouer le jeu. Un peu déçu par ce panel réduit, Patrice Barrat explique : "Le patron de Mac Do a refusé, Messier n’avait plus le temps. En fait, beaucoup se sont défilé au dernier moment." Côté Porto Alegre, Bernard Cassen, du Monde diplomatique, mais aussi Joao Pedro Stedile, du Mouvement des paysans sans terre, et Hebe de Bonafini, présidente des Mères de la Place de Mai. Une heure et demie de dialogue, ou plutôt d’invectives, de menaces, d’empoignades et de prises à parti. Un condensé d’une demi-heure sera diffusé vendredi 2 février à 20 heures sur Arte et sera disponible dès dimanche sur le site madmundo.tv. On y voit un choc de cultures. D’un côté, la couleur des peaux, de la ville, la musique, le bruit et la foule. Baigné de soleil. De l’autre, les barbelés, la neige, les flics et les costumes sombres. Et le dialogue ne prend pas. Les participants "brésiliens" sortent les chiffres de la pauvreté, de la fracture entre Sud et Nord et de partage des richesses. Les réponses côté Suisse restent vagues.
Lorsque Hebe de Bonafini prend le micro, qu’elle serre très fort entre ses doigts, c’est toute la colère du Sud. "Messieurs, vous êtes nos ennemis, leur crie t-elle. Vos réponses sont hypocrites. Combien d’enfants tuez-vous chaque jour avec vos plans ? Répondez ! Combien de mères devront-elles encore supporter de morts à cause de la globalisation ?" Puis, elle prend George Soros à parti : "Répondez, Monsieur Soros. Ayez le courage de me regarder en face." Sourire tendu du spéculateur financier. "Il a vraiment été choqué. Il ne s’attendait pas à une telle volée de bois vert. Lui se voit plutôt comme un Robin de bois, un bon qui aide les organisations humanitaires", explique Patrice qui animait le débat, côté Davos. Le journaliste engagé parle de déception provisoire, d’engueulades sans véritable point d’accord. Mais reste profondément optimiste. "C’est un début. Une photo de la réalité."