Une émission d’une chaîne guadeloupéenne, Canal 10, est accusée d’incitation à la haine raciale. La polémique commence à gagner la métropole.
Elle se nomme Canal 10. C’est une télé locale émettant uniquement en Guadeloupe par voie hertzienne. Une chaîne comme il en existe tant d’autres sur le territoire français. Avec, bien évidemment, une autorisation d’émettre en bonne et due forme délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Créée il y a une dizaine d’années sous la forme embryonnaire d’une télé pirate, Canal 10 est, depuis 1998, entrée dans la légalité. Pourtant, depuis de long mois, des représentants du monde associatif, des élus locaux et des professeurs, s’insurgent contre les propos racistes tenus quotidiennement par l’un de ses animateurs, Simon Ibo, dont la notoriété et la prose extrémiste lui ont valu un siège au Conseil régional. Principales cibles de ces diatribes xénophobes diffusées à l’heure du déjeuner : les immigrés haïtiens ou dominiquais.
Attaque à coup de machettes
En mai dernier, un collectif d’associations lançait une pétition, "un appel contre la barbarie", qui visait directement les délires racistes de Simon Ibo sur Canal 10. On pouvait y lire : "Au nom d’une certaine idée de l’Homme, la communauté haïtienne, victime, parmi d’autres, d’une campagne de haine distillée sur une chaîne de télé locale a eu le courage de rompre un silence complice."
L’initiative a recueilli le soutien de plusieurs personnalités guadeloupéennes (professeurs, sportifs, intellectuels, etc). Le 20 juillet, quatre associations d’immigrés haïtiens assignaient en justice Canal 10 et son animateur Simon Ibo pour incitation à la haine raciale. Deux jours plus tard, la tension montait d’un cran sur l’île. Une centaine d’hommes se livraient, à coup de machettes et de gourdins, au saccage d’une maison appartenant à des Dominiquais, à Morne à l’Eau. Le tout, sous l’œil de la caméra de Simon Ibo... Le 3 août, le vice-consul de la Dominique était victime, à Pointe-à-Pitre, d’une agression en rentrant chez elle. Il y a quelques jours, le GISTI (groupe d’information et de soutien des immigrés) et le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) envoyaient conjointement une lettre ouverte adressée au président du CSA, Dominique Baudis, dénonçant le "silence insupportable" de l’organisme de régulation à propos des agissements télévisés d’Ibo.
Traduction des passages en créole
Au siège du CSA, on affirme que l’organisme a saisi, le 3 juillet, le procureur de la République afin de faire toute la lumière sur l’émission mise en cause. "Nous suivons ce dossier depuis le printemps. Il s’agit de réunir des preuves tangibles qui nous permettrons, s’il y a lieu, de procéder à des sanctions", explique Philippe Levrier, membre du CSA qui suit les affaires des DOM-TOM. Comme toutes les chaînes autorisées par le CSA, Canal 10 a signé une convention stipulant que tout manquement à la loi sera sanctionné. Le Conseil a bien reçu les enregistrements de l’émission de Simon Ibo (envoyés par des bénévoles ou des militants associatifs) mais la traduction des passages incriminés (en créole) sont en cours de décryptage... "Il est plus difficile d’exercer un contrôle dans les DOM TOM dans le domaine de l’audiovisuel car, contrairement à ce qui existe pour la radio, nous ne disposons d’aucune structure sur place", admet Philippe Levrier.