L’association anti-raciste juge dangereux le filtrage de sites par les fournisseurs d’accès et estime prioritaire la lutte contre les auteurs.
Le Mouvement contre le racisme et l’antisémitisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) marque sa différence. Le 12 juillet, il a publié un communiqué de presse réprouvant l’assignation de 13 fournisseurs d’accès par l’association J’accuse pour leur demander de bloquer le portail néonazi Front-14. Dans son texte intitulé "Le contrôle des contenus sur Internet : un problème politique", le Mrap lance également un appel aux pouvoirs publics, pour qu’ils engagent une lutte active contre les auteurs français de sites racistes et mettent en place une législation permettant de frapper des filiales françaises d’entreprises qui ne respectent pas les droits de l’homme. L’association dénonce, par ailleurs, le "paradis informatique" que constitue la Suède, où la législation contre le racisme est plus proche de la conception américaine. Le Mrap propose, enfin, aux défenseurs des droits de l’homme de se rencontrer pour mettre en place une politique concertée de promotion de leur cause, sur Internet.
Interview de Gérard Kerforn, responsable des questions Internet au Mrap.
Pourquoi le Mrap ne souhaite-il pas se joindre à l’action engagée par l’association J’accuse ?
Nous apprécions le combat mené par les autres associations, mais nous estimons que le filtrage des sites comporte un risque : celui de transférer la responsabilité sur les intermédiaires techniques. Et ce, alors qu’il est possible de trouver les premiers responsables qui sont les auteurs. Le problème des mesures de filtrage, c’est qu’elles peuvent avoir des effets pervers dans le temps et se retourner contre leurs promoteurs.
Dans l’affaire de la plainte contre Yahoo !, à laquelle le Mrap s’était associée pour demander le filtrage des internautes, des observateurs avait aussi mis en garde contre les effets pervers de ce type de mesures...
D’une part, je ne nie pas que le débat ait évolué au Mrap depuis lors. Mais, par ailleurs, il y a une spécificité dans l’affaire Yahoo !. Dans ce cas précis, le site jouait un rôle actif dans l’hébergement des sites qui proposaient les insignes nazies aux enchères et avait créé une arborescence spécifique pour les objets nazis.
Que pensez-vous de la position de J’accuse qui juge préférable de s’en prendre, en premier lieu, au portail Front 14, dans un souci d’efficacité ?
Le filtrage entraînera la migration des sites, phénomène très courant en matière de racisme sur Internet. Donc, l’efficacité de la mesure nous semble loin d’être acquise.
Dans l’affaire Yahoo !, le Mrap a mis du temps pour s’engager. Cette fois encore, votre association s’exprime suite à une initiative prise par d’autres... Pourquoi ce retard ?
Nous menons des actions de notre côté. Nous avons organisé, il n’y a pas si longtemps, au Sénat, un colloque sur le racisme sur Internet. Nous avons engagé des procédures contre SOS Racaille, contre la cyber-librairie Première ligne et contre des sites de musique Black Metal. Ce n’est pas forcément spectaculaire. Mais nous pensons justement qu’il faut quitter le terrain du spectaculaire et considérer la réalité d’Internet plutôt que de céder aux fantasmes. Car nous ne nions pas que le réseau suscite des fantasmes y compris chez les associations de défense des droits de l’homme. Or, le Net comporte aussi un formidable potentiel pour la promotion de cette cause. C’est pourquoi nous souhaitons que les différents acteurs se rencontrent pour renforcer la politique de prévention et créent des outils pour faire en sorte que la défense des droits de l’homme soit plus présente sur le Web. Ce qui permettrait de relativiser l’existence des sites racistes.