Les activistes qui ont recouvert des centaines de panneaux publicitaires du métro parisien il y a deux semaines reviennent : ils appellent à une nouvelle action le vendredi 7 novembre à 19 heures. Cette seconde édition veut transformer le succès de la première action, au cours de laquelle plus de 300 personnes ont barré les affiches de croix noires et "riposté" à la réclame avec leurs propres slogans. Privés de l’effet surprise, les organisateurs tentent de conserver la dynamique en transmettant le témoin à de nouveaux militants et de prolonger le mouvement en province. Le but reste le même : s’en prendre au "carburant" de la "marchandisation du monde".
"Nous avons atteint environ 70 % de notre objectif", estime Frédéric, un des organisateurs de l’action du 17 octobre, menée à Paris par neuf groupes de 30 à 40 personnes à l’appel du collectif informel Stopub, créé pour l’occasion. Comprenez que les activistes anti-pub ont recouvert les panneaux d’une centaine de stations de métro, la quasi-totalité des arrêts situés dans le centre de la capitale, entre les lignes 2 et 6.
Des grands-mères et des punks
Pendant l’action, Frédéric, un réalisateur de films documentaires, lisait à voix haute l’"Appel au recouvrement d’espaces publicitaires" "pour dissiper les peurs, l’incompréhension et l’hostilité" des passants : "rencontrons nous pour nous réapproprier l’espace public par un geste collectif et joyeux de protestation face à la privatisation du monde..."
Le collectif, dont les membres souhaitent rester anonymes, disait être un regroupement hétérogène de personnes touchées par les politiques du gouvernement : "enseignant(e)s, chômeurs(ses), chercheurs(es), intermittent(e)s, personnel de santé...".
Le 17 octobre, Frédéric assure qu’il y avait effectivement tous types de personnes parmi les participants : "de la grand-mère bon chic bon genre aux punks anarchoïdes...", en plus des collectifs de graffeurs et plasticiens qui avaient promis de venir montrer l’exemple.
Yvan Gradis, un des pionniers de la "légitime réponse" non-violente aux excès de la pub, se réjouit d’avoir vu des jeunes différents de ceux qui ont assisté depuis 2001 à un de ses quinze "sacrifices" symboliques de panneaux de réclame : "Mon public est tranquille, presque familial. Là, j’ai vu des gens qui s’impliquaient directement, avec l’envie personnelle d’en découdre avec la publicité", note celui qui a fondé en 1992 Résistance à l’agression publicitaire (RAP).
Le chat et la souris
Pour les organisateurs, c’est le fait d’avoir su créer la surprise qui a fait le succès de l’opération anti-pub, notamment vis-à-vis des forces de l’ordre. Seul un des neuf groupes d’activistes n’a pas été suivi par les forces de l’ordre ou les personnels de la RATP. "Mais après nous avoir obligés à jouer au chat et à la souris pendant plus d’une heure, ils nous ont finalement laissés agir tranquilles, voyant qu’il y avait des gens très différents", se rappelle Frédéric, dont le groupe a peint, marqué, placardé et bombé librement, de 21 heures à minuit
Au final, l’action de désobéissance civile n’a été sanctionnée que de deux amendes, délivrée contre des jeunes femmes pour "délit de dégradation temporaire de bien appartenant à autrui", correspondant à l’acte de recouvrement d’une publicité. Une condamnation de 70 euros, relativement bénigne par rapport à celle qui peut frapper ceux qui dégraderaient des biens publics autres que les affiches, rappellent les organisateurs.
Pour le 7 novembre, les anti-pub réitèrent sur leur site les consignes aux participants, qui ne doivent toucher qu’aux seules affiches et éviter toute "dégoulinade".
Dès le lendemain du 17 octobre, le site des anti-pub a reçu 3000 visites et des centaines d’e-mails, "de toute la France et même d’Europe". Frédéric et ses compagnons ont profité de cet écho pour mettre en ligne une nouvelle version de cette plateforme d’organisation, avec questions/réponses, témoignages et photos.
Il faut s’au-to-no-miser
"Il y a beaucoup de gens de province intéressés mais ils ont tendance à nous considérer comme des superorganisateurs...", explique Frédéric, qui déplore l’attitude un peu attentiste de la part des aspirants activistes. Des internautes de plusieurs villes tentent de s’organiser via le site.
"Nous devons faire de la pédagogie... C’est un peu le sens de cette seconde édition, pour laquelle la quasi-totalité des organisateurs s’est retirée, au profit de nouvelles têtes", avance Frédéric, qui a transmis, comme les 5 autres coordonnateurs de la première action, ses connaissances techniques aux nouveaux venus.
Plus qu’une façon de se décharger d’une charge trop lourde, il s’agit là d’un choix stratégique, visant à responsabiliser et à "autonomiser" les participants, pour assurer une vraie indépendance d’action et tenter de pérenniser le mouvement.
Son expérience, Frédéric l’a tirée d’une dizaine d’années à s’engager comme soutien technique et juridique pour diverses causes : soutien aux sans-papiers expulsés, lutte contre la double peine, collectifs anti-capitalistes et anti-fascistes, soutien aux étudiants étrangers...
Ouvrir des petites fenêtres
Anti-capitaliste, de sensibilité libertaire et non trotskiste, le co-organisateur de l’action du 17 octobre ne se sent pas proche du mouvement altermondialiste, tel que représenté par Attac ou la Confédération paysanne : "Des mesures comme la taxe Tobin sont des réformes qui ne remettent pas réellement en cause la logique marchande et sont instrumentalisées par des politiques comme le Parti Socialiste".
Pour les activistes, recouvrir des panneaux de publicité n’est pas une fin en soi. "Cela permet de réunir des gens d’horizons et de régions très différents, avec une cible commune, la publicité, comme symbole le plus visible et le plus outrancier du capitalisme. Et on sait à quel point il est dur de fédérer, alors que chacun souffre dans son coin..., explique Frédéric. Le fait de voir d’autres agir ouvre des petites fenêtres dans la tête des gens, des possibles."
Les militants contre la publicité ont réussi le 17 octobre à créer une forme de disruption et pourraient bien réitérer le 7 novembre. A Paris, les points de rendez-vous se feront à l’extérieur de sept stations de métro : St Lazare, République, Place d’Italie, Bastille, Montparnasse, Nation, Gare de l’Est.