Pour Pierre Larrouturou, candidat à l’élection présidentielle, l’Internet était l’un des rares moyens pour présenter ses idées. La télé ? Il en rêvait. Mais il n’est pas chasseur, c’est un homme, il est sérieux (c’est l’un des inspirateurs de la loi Robien sur les 35 heures) et il ne pleure pas à la radio...(article publié le 26 mars 2002)
Pierre Larrouturou est un de ces "petits candidats" à la présidentielle. De ceux que vous ne voyez pas, ou n’entendez pas, sauf à rester éveillé tard le soir, quand plus personne n’est devant le poste.
Pour lui comme pour beaucoup de candidats, l’Internet était, pour la première fois, une arme de campagne. Mieux : un superbe outil de démocratie. Nous republions cet entretien, toujours d’actualité, à l’heure où on s’interroge sur le rôle que peut jouer le réseau dans la mobilisation pour le 5 mai.
Vous vous plaignez du traitement dans les médias ?
Ou du non-traitement...Les petits candidats ne sont pas du tout entendus. Ils n’ont aucun accès aux grands médias de communication, qui donnent la parole à ceux qu’ils considèrent, eux-mêmes, comme les grands. Et, puisqu’ils trustent les médias, ils ne risquent pas d’être bousculés...
Mais cela se traduit par quelle différence ? ?
Prenons un exemple : si on prend comme unité le nombre de personnes devant l’écran, à une heure donnée, et qu’on multiplie ce nombre par le temps passé à l’antenne, on a une idée du nombre de télespectateurs à qui on a pu exposer ses idées. Dans ces conditions, lors des élections européennes, la liste de Saint-Josse, bien vue par les médias car le personnage est " folklorique ", a eu une exposition... 4 000 fois supérieure à celle de ma liste !
Vous pensez qu’Internet peut vous aider ? ?
Quand on est un " petit candidat ", c’est pour faire passer des idées dans ce pays qui manque de débat. Et l’Internet permet de détourner trois problèmes majeurs : 1. le financement de sa campagne, 2. l’accès aux médias et aux citoyens et 3. la qualité des débats. Faire un site Web n’est pas cher. Si je devais envoyer mon livre à tous les citoyens, cela coûterait une fortune. De plus, dans un entretien dans les médias audiovisuels, il est rapide et facile de dire nouvelledonne.net, l’adresse du site.Or, aujourd’hui, beaucoup de gens, qui n’iraient pas se plonger dans un livre, ont le réflexe Internet : ils entendent une adresse, ils tapent rapidement sur le clavier pour voir à quoi cela ressemble. Sur mon site, je peux présenter les points essentiels que je défends avec une chance que ce soit lu par beaucoup de monde. Cela permet aussi de faire du cyber-tractage, d’envoyer des infos par mail à beaucoup de gens, qui peuvent eux-même faire suivre à leurs contacts, etc. Et c’est plus écolo que des stocks de papier, par terre à la sortie du métro...
Mais vous vous limitez aussi aux seuls internautes, qui sont une minorité ? ?
Disons que si on me donnait le choix entre une heure en prime-time sur TF1 et un site Web, je prendrais peut-être TF1... Mais on ne me l’a pas proposé. Et si le site est bien fait que seuls les internautes le voient, c’est déjà ça.
Vous parliez de qualité ? ?
A la télé, on a une minute pour le chômage, une minute pour la sécurité... Chez Arlette Chabot, la phrase c’est " en trente secondes s’il vous plaît ". Moi, les rapports Nord-Sud en trente secondes, je n’y arrive pas... Sur mon site, je peux expliquer le problème des retraites en trois pages et deux graphiques, avec des animations, sans être chiant. A la télé, on n’oublie pas qu’on est là pour meubler entre deux écrans de pub.
Imaginons : vous êtes élus. A quoi vous sert alors l’Internet ? ?
Pour moi, c’est une révolution aussi importante que l’imprimerie. Et celle-ci avait permis la réforme. Et qu’avons nous en France ? Un problème de démocratie. Le pouvoir est confisqué par des technocrates qui tiennent leur légitimité de l’accès à l’information, au savoir. Avec l’Internet, on peut diffuser largement l’information, le savoir, et donc partager le pouvoir. Bien sûr, cela veut dire qu’il faut une volonté politique forte de permettre à tous d’y avoir accès. Mais, à l’époque de Jules Ferry, on a bien eu une volonté forte pour l’école publique obligatoire et gratuite. On y est arrivé. Il n’y a aucune raison de ne pas donner accès à tous au réseau. Sans doute par les lieux publics, les écoles. Si vous faîtes cela, vous pouvez faire de l’Internet un lieu de réflexion collective. On peut mettre les textes en ligne et recueillir les remarques. Permettre à tous de s’exprimer. Un des points du programme est la Loi d’initiative citoyenne, si 300 000 personnes soutiennent un texte. Si vous mettez en ligne toutes les informations sur un problème précis, les gens pourront eux-mêmes se faire une opinion, avant de voter.
On pourrait déjà le faire, non ? ?
Tout à fait. Surtout qu’Internet, c’est de l’écrit, cela reste. Et je vous garantis que si les hommes politiques savent qu’on retrouve en ligne tout ce qu’ils ont dit sur les retraites depuis vingt ans, ils vont arrêter de dire des conneries...
Son site : http://www.larrouturou2002.net
A l’occasion de l’émission spéciale sur la e-démocratie de la chaîne parlementaire Public Sénat, le 24 avril à 18h, participez aussi au forum public mis en place sur ce thème.
(Une partie de cet entretien est également parue dans Transfert magazine, n°23)