La protection des infrastructures vitales américaines doit-elle reposer sur Windows ?
Une association représentant les leaders de l’industrie high-tech critique Microsoft
Une association représentant les principaux leaders américains de l’informatique,
exception faite de Microsoft, demande au gouvernement américain de revenir sur sa décision d’équiper son Département de la sécurité intérieure de plateformes Windows en raison de ses problèmes persistants de sécurité.
Dans une lettre adressée le 27 août dernier à Tom Ridge, secrétaire du Department of Homeland Security (DHS), Ed Black, président de la Computer &
Communications Industry Association (CCIA), lui demande de "reconsidérer la confiance accordée" à Microsoft, dont la plateforme, qualifiée de "défectueuse", a été choisie pour équiper le DHS en vue de "protéger la sécurité nationale" des États-Unis.
Des poids lourds contre Microsoft
D’ordinaire, les critiques portant sur les risques que font peser les logiciels Microsoft émanent des défenseurs des logiciels libres ou de professionnels de la sécurité. La CCIA est d’une toute autre nature, et d’un tout autre poids.
Créée il y a 30 ans pour représenter les petites sociétés informatiques face au géant IBM, alors sous le coup d’un procès antitrust, l’association regroupe aujourd’hui, outre une ribambelle de start-ups, PMI et PME, de nombreux poids lourds du secteur technologique : Sun Microsystems, Fujitsu, Nokia, Nortel Networks, AT&T, Oracle, Yahoo ! ou encore AOL. Ses membres emploient un peu moins d’un million de salariés et totalisent un chiffre d’affaires annuel de 300 milliards de dollars.
Créé dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, le Department of Homeland Security américain (DHS) vise, quant à lui, à coordonner le travail de 22 agences et 180 000 employés chargés de protéger les infrastructures nationales de toute menace terroriste.
Le 27 juin dernier, deux jours après une rencontre entre Bill Gates et Tom Ridge, on
apprenait que le DHS signait un contrat de 90 milions de dollars avec Microsoft Corporation. L’objectif est d’unifier les plateformes informatiques utilisées par l’ensemble des agences chapeautées par le DHS.
Pour la même raison, Tom Ridge avait déjà fait équiper 40 000 PC d’une plateforme Windows lorsqu’il était gouverneur de l’état de Pennsylvanie. Le déploiement avait même fait l’objet d’une étude de cas publiée dans les pages d’auto-promo du site de Microsoft.
Plusieurs infrastructures critiques victimes des failles de Microsoft
En termes de sécurité, mais aussi d’économie de marché, la CCIA se fait fort de promouvoir la "biodiversité" informatique, au vu des risques que fait peser toute dépendance envers un seul et même fournisseur.
Mais c’est principalement en raison des récents, et nombreux, problèmes de sécurité informatique rencontrés par Microsoft que la CCIA entend faire revenir le DHS sur sa position.
Pour Ed Black, le président de la CCIA, il existe de nombreuses preuves permettant d’avancer que "depuis des années, les objectifs économiques, marketing et même anticompétitifs étaient bien plus importants que la sécurité pour les développeurs de logiciels Microsoft". Il aura en effet fallu attendre l’an passé pour que la sécurité devienne l’une des priorités affichées de Bill Gates et de sa société.
Citant les récents vagues d’attaques virales, Black rappelle qu’elles ont entraîné, outre des millions de dollars de manque à gagner pour l’économie et les désagréments que l’on peut imaginer pour les personnes dont les PC ont été infectés, la fermeture temporaire de plusieurs administrations et services sensibles, dont le système de contrôle d’embarquement des passagers d’Air Canada, l’intranet de la marine américaine ou encore le système de surveillance d’une centrale nucléaire.
"En résumé, avance Black, les récents virus, qui ne touchent que les seuls utilisateurs des plateformes et logiciels Microsoft, ont réussi à "ralentir ou rendre indisponibles des infrastructures critiques en matière militaire, de transport et d’énergie". Infrastructures que le DHS est précisément censé sécuriser.
Vers une responsabilité des éditeurs de logiciels ?
Tout en reconnaissant que les premières personnes à blâmer sont bien évidemment les créateurs de ces virus, Black estime néanmoins que Microsoft est "largement responsable dans la mesure où il persiste à développer des logiciels pourvus de failles de sécurité facilement exploitables", au risque de mettre en danger tant l’économie que la sécurité nationale.
De son côté, le New York Times rappelait le 1er septembre que de plus en plus nombreux sont ceux qui demandent à ce que les sociétés de logiciels soient tenues pour responsables des dommages occasionnés par les failles de sécurité de leurs produits.
Pour Bruce Schneier, l’un des experts les plus en vue en matière de sécurité informatique, "c’est précisément pour cela que l’on ne recontre pas de tels problèmes en matière automobile : quand Firestone sort un pneu comportant un vice caché, il est tenu pour responsable. Quand Microsoft lance un système d’exploitation révélant deux failles de sécurité chaque semaine, il n’est pas tenu pour responsable".
En effet, les conditions générales d’utilisation des logiciels, que sont forcé
d’accepter leurs utilisateurs, déchargent systématiquement les éditeurs de toute
responsabilité quant aux dégâts qu’ils pourraient causer.
Interrogé par C|Net, Cem Kaner, avocat et universitaire au Florida Institute of Technology, avance ainsi que "sauf à ce que quelqu’un soit blessé ou tué, il est quasiment impossible de poursuivre en justice un éditeur en raison d’une faille de son logiciel". Il serait effectivement dommage d’en arriver là.