L’une des grandes énigmes mathématiques pourrait bientôt être résolue : la conjecture de Riemann, qui décrit la répartition des nombres premiers. Ces recherches pourraient notamment avoir des applications en cryptographie.
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C’est le plus beau Graal des mathématiques : la clef de la répartition des nombres premiers, la conjecture de Riemann, formulée en 1859, pourrait être prochainement démontrée grâce aux récentes théories chères aux physiciens.
2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, etc : les nombres premiers sont les particules élémentaires des mathématiques. Ils ne sont divisibles que par 1 ou par eux-mêmes. Tous les autres nombres en découlent : ils n’en sont que les multiples. Le mystère des nombres premiers - dans lequel des penseurs de la trempe de Blaise Pascal ont vu la main de Dieu - est qu’ils sont imprédictibles : ils n’apparaissent pas selon une fréquence régulière.
Au XIXe siècle, les mathématiciens ont mis un peu d’ordre dans ce chaos apparent. Si, pris individuellement, les nombres premiers surgissent toujours de manière inopinée, leur distribution générale dans l’ensemble des nombres entiers semble obéir à une tendance. Plus on avance vers de grands nombres, plus les nombres premiers se font rares. Les mathématiciens se sont aperçus qu’en dessous d’un certain nombre x, la proportion de nombres premiers inférieurs à x est proche de 1/ln(x), ln étant le logarithme de x. Chaque nombre inférieur à 10 milliard a, par exemple, 4 % de chances d’être premier.
De la vérification à la démonstration
Le problème, c’est cette approximation. Les mathématiciens détestent cela. En l’absence de preuve, il n’est pas possible de savoir si cette probabilité de 1/ln(x) est vraie jusqu’à l’infini. Les mathématiciens ont prouvé que démontrer l’hypothèse de Riemann revenait à montrer que les solutions d’une fonction particulière (la fonction zêta), appelés zéros de Riemann, sont alignées sur une droite. Le problème, c’est que cette fonction a une infinité de solutions, et que l’on a observé que l’alignement était vrai seulement pour les 1,5 milliards premières.
Dans son livre, le spécialiste des nombres premiers Jean-Paul Delahaye (du laboratoire d’informatique fondamentale du CNRS à Lille) rappelle que plusieurs mathématiciens ont consacré parfois dix années de leur vie sans venir à bout de la conjecture de Riemann (Merveilleux nombres premiers, Belin - Pour la Science). Pourtant, le Français Alain Connes, 53 ans, a relevé le défi. Ce mathématicien de l’Institut des hautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette, dans l’Essonne a déjà obtenu la médaille Fields en 1982, le Nobel des matheux. Son idée est empruntée à la physique : il a inventé un système théorique quantique (c’est-à-dire relatif à la physique quantique des particules élémentaires) incluant dès le départ les nombres premiers. Alain Connes a prouvé l’année dernière que les niveaux d’énergie de son système correspondent à des zéros de Riemann. Il lui reste à prouver la réciproque : que tous les zéros de Riemann correspondent à des niveaux d’énergie de son système.
Des nombres premiers aux fibres optiques
Mais ce n’est pas gagné, car, comme le rappelle Jean-Paul Delahaye, "les liens entre nombres premiers et mécanique quantique sont très indirects." Il se déclare, lui, plutôt sceptique. Du côté d’Alain Connes, il n’y a pas non plus de triomphalisme dans l’air : il est prévu que la démonstration "quantique" de la conjecture de Riemann puisse prendre plusieurs années. Mais la récompense sera de taille, tant pour la physique que pour les mathématiques. La conjecture de Riemann, si elle est prouvée, permettrait notamment, selon le New Scientist, de mieux comprendre certains phénomènes tels que la propagation de la lumière ou du son. Elle entraînerait également l’existence d’un algorithme permettant de tester la primalité de n’importe quel nombre (s’il est premier ou non), même très élevé. Cet algorithme pourrait se révéler très précieux dans le domaine de la cryptologie, afin d’améliorer les méthodes de sécurisation des données sur Internet.