Doobee, 25 ans, fait partie du collectif de hackers allemands Chaos Computer Club depuis 4 ans. Programmeur depuis sa jeunesse, il se sent proche des Cypherpunks, un groupe qui milite pour la protection totale de la vie privée et la généralisation de la cryptographie.
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Comment gagnes-tu ta vie ?
Je suis consultant en informatique. Comme c’est bien payé, ça me permet de travailler très peu, le moins possible en fait. Je touche aussi des royalties sur un petit programme que j’avais écrit quand j’étais encore ado : un calculateur de coûts et de taxes pour modem. Sinon, je suis étudiant en droit. Je fais des recherches, surtout en droit pénal et informatique.
Comment as-tu rejoint le Chaos Computer Club ?
J’ai habité dans un petit village pendant des années. Je programmais tout le temps, mais je me sentais un peu tout seul. Je n’avais même pas d’e-mail. Quand je suis arrivé à Bonn pour mes études, j’ai naturellement commencé à traîner avec la section locale du CCC, et ainsi de suite. Puis, j’ai commencé à m’intéresser à la philosophie des Cypherpunks, un groupe de Los Angeles. J’ai lu des livres et me suis reconnu dans leur approche très libertaire mais très pratique : " La cryptographie va changer le monde. Rien ne sert d’en parler, il faut écrire des programmes. " Ils sont très pointus sur des sujets comme la cryptographie ou les remailers. J’ai trouvé deux ou trois personnes qui avaient les mêmes idées en Europe.
Tu as une vision politique du hacking, te considères-tu comme une exception ?
C’est vrai que les hackers et les pirates n’ont en général aucune vision politique. Quand ils en ont, ils ne s’entendent pas ou sont complètement éparpillés. Ils se sentent tous très non-conformistes, presque anti-sociaux. Ils ne veulent donc presque jamais faire partie d’un mouvement organisé. Ils vivent dans un paradoxe. Ils sont capables d’être dans la même pièce et de s’échanger des e-mails, sans se parler, ce qui est très " impoli ". En fait, la majorité n’est pas prête pour la politique.
Quelle est la dimension politique du CCC ?
Les objectifs du CCC sont plutôt des " meta-objectifs ". La liberté de circulation sur le Réseau et la meilleure compréhension de la technologie par tous ne peuvent jamais vraiment être atteints. C’est une direction. La particularité du CCC est d’être le seul groupe de hackers au monde à avoir des liens étroits avec la classe politique. En collaborant avec ceux qui élaborent les réglementations sur Internet, ils ont par exemple réussi à ce que l’Allemagne reste un des seuls pays qui n’a aucune loi sur la cryptographie.
Connais-tu d’autres groupes de hackers qui ont une vision politique forte ?
À part le CCC, je ne vois que la Free Software Foundation GNU, qui se bat pour les logiciels libres et, bien sûr, les Cypherpunks. D’inspiration anarchiste, nous sommes pour la liberté et la protection de l’individu contre l’...tat. Nous défendons l’anonymat, l’absence de régulation du Réseau et le concept de e-cash : comme les cartes de crédit ne sont pas anonymes, nous pensons que la monnaie virtuelle anonyme est l’une des meilleures façons d’affaiblir le contrôle de l’...tat, qui ne pourrait plus lever d’impôts.
Internet est-il un espace plus ou moins libre qu’il y a cinq ans ?
Bien moins libre, c’est certain. Parce que le Réseau a pris beaucoup plus d’importance aux yeux de la société, puis des sociétés commerciales et de l’...tat. Leurs intérêts ne sont pas les nôtres, la situation ne peut donc être que moins bonne. Je suis quand même optimiste mais il faut s’adapter. En 1996, déjà, on disait : " L’Internet est déjà plein, allez-vous en ! ", quand tous ont commencé à s’y intéresser. Aujourd’hui, il faudrait : " L’Internet est plein, c’est nous qui nous en allons ! " Les Cypherpunks réfléchissent donc à des réseaux virtuels privés (virtual private networks, VPN), inspirés des concepts de communautés fermées ou de cités murées imaginés par des penseurs comme William Gibson. L’idée est bonne, et tout cela va se développer bientôt. Grâce à la cryptographie et à la gestion dynamique des adresses IP, on peut créer des réseaux dans lesquels on n’accepte que ceux que l’on a choisi. Comme dans la vie réelle, on n’a pas toujours envie d’être dans un endroit public et d’être entendu par tous.
Pourquoi ce genre de réseau privé n’est-il pas encore développé ?
Nous y travaillons, mais les problèmes ne sont pas techniques. Plutôt politiques ou sociaux. On se demande : " À partir de combien de membres une communauté devient-elle laide ? " Si nous acceptons 10 000 personnes, certains vont-ils réclamer des forces de police ? Pourquoi, quand on invite 10 personnes à une fête, tout se passe bien, alors qu’avec une centaine, les toilettes sont forcément immondes ? Toutes les questions sont politiques. Que faire si quelqu’un s’oppose aux autres membres ? Ou tient-on des propos nazi ? Le tout est une question de pédagogie et de respect, cela demande du temps.