André Santini, député-maire d’Issy-les-Moulineaux, est l’un des élus les plus branchés en matière d’Internet.
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Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
J’avais été marqué par le discours du vice-président américain, Al Gore, sur les autoroutes de l’information en 1993. J’ai donc lu attentivement les articles qui relataient l’émergence d’Internet aux ...tats-Unis. J’avais alors le sentiment que le Web constituait un formidable outil d’accès à l’information, à la connaissance, en visitant avec gourmandise le site de la bibliothèque du Congrès américain. Très vite, j’ai compris aussi qu’il s’agissait d’une évolution profonde de nos modes de communication, avec l’e-mail notamment.
Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans l’Internet ? Quel a été le
déclic ?
Je considérais que mon rôle d’élu était d’anticiper et de permettre à tous les habitants et à toutes les entreprises d’Issy d’y accéder rapidement et facilement. C’est pourquoi j’ai demandé l’ouverture d’un accès gratuit à la médiathèque, dès 1995, avant d’adopter notre Plan local de l’information, en janvier 1996. Mais mon ambition était d’accompagner le développement des nouvelles technologies sur notre territoire, sans imaginer l’ampleur que cela prendrait.
Il faut savoir aussi que la culture de l’innovation à Issy n’est pas née avec l’Internet. Tous nos enfants utilisent une carte à puce pour payer leur restauration scolaire ou s’inscrire aux centres de loisirs depuis 1993 et la Médiathèque propose des cédéroms en prêt depuis 1994 et des DVD depuis 1998. Enfin, la salle multimédia de l’Hôtel de ville, louée aux entreprises, a été conçue au début des années 90 !
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
En lisant les rapports mensuels du nombre de visiteurs sur notre site web ! Moins d’un millier au printemps 1996, 200 000 au premier semestre de cette année.
Mais je ne dirais pas que l’Internet a vraiment décollé en France. Avec moins de 20 % des Français connectés, nous sommes encore loin des chiffres américains ou scandinaves où plus de la moitié des foyers surfent sur le Web ! Même par rapport à nos voisins anglais, allemands ou italiens, nous ne brillons pas ! C’est pourquoi je milite, depuis 1997, pour l’adoption de mesures fiscales aidant les foyers français à s’équiper en matériel informatique et à se connecter. Je ne comprends pas pourquoi accéder à la connaissance serait moins important que changer sa voiture d’occasion !
Les élus locaux peuvent sensibiliser le public, en organisant animations et actions de sensibilisation, voire en formant nos concitoyens à la création de contenus multimédia de qualité, comme cela va se faire dans notre équipement culturel multimédia, « Le Cube », que nous avons inauguré le 20 septembre dernier. Nous en avons confié l’exploitation à Art 3000, une association reconnue dans ce domaine, et je pense que nous y verrons naître de vraies œuvres numériques. Mais nous ne pouvons pas tout faire ! Au-delà des discours, j’attends de l’...tat une politique plus vigoureuse dans ce domaine.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
Cela m’a fait penser aux films sur la ruée vers l’or : frénésie, euphorie, folie furieuse, formidable espoir d’un nouvel Eldorado... Et finalement peu d’élus à l’arrivée ! En même temps, cette période a généré une énergie et un dynamisme incroyable et elle a donné l’envie d’entreprendre à toute une génération. En cela c’est un très bon point ! J’ai cependant regardé tout cela avec beaucoup de prudence. Tout le monde semblait fasciné, comme hypnotisé par les gourous de la nouvelle économie. Ce n’est jamais bon ! Les rares qui osaient émettre quelques réserves ont été balayés et traités de ringards... avant d’être appelés à la rescousse !
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
Après la crise des années 70, 80 et début 90, beaucoup avaient envie de croire à un nouveau boom économique. Fini les années de galère, le chômage, l’incertitude sur l’avenir... Les gens ont réagi avec excès, y compris la presse qui a amplifié le phénomène tout comme les analystes financiers ! Un peu comme pendant les Années folles qui ont suivi la Grande guerre, beaucoup avaient envie de croire que tout était de nouveau possible. Nous vivons un dur retour à la réalité, mais ne tombons pas non plus dans l’excès inverse : cette période, même si elle a été beaucoup plus courte qu’aux ...tats-Unis, aura permis de redonner le goût d’entreprendre et, surtout, laissera des traces. Ce ne sera jamais plus comme avant l’Internet.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
Le premier signal, selon moi, est venu de ceux qui ont lancé le phénomène Amazon, qui a bouleversé les références, durant plusieurs années, en ne gagnant pas d’argent, mais en attirant toujours plus d’investisseurs. Cela a lancé une tendance, qui a fait croire que les modèles économiques traditionnels étaient dépassés, et même bouleversés. Amazon a été, en quelque sorte, le mètre étalon de la nouvelle économie émergente.
Et Amazon a subi sa première crise, avec les premiers licenciements. Le rêve promis subissait alors un coup d’arrêt. Puis les effets d’annonce ont laissé la place à de vrais plans de restructuration, à l’ancienne, et la bulle s’est déchirée d’elle-même.
Je pense aussi que les dotcoms ont été victimes des excès de certains dirigeants brûlant l’argent dans des jets privés ou passant leur temps à parcourir le monde alors que leur marché intérieur n’était même pas conquis. Et puis, le grand rêve ne s’est pas réalisé : la gratuité n’existe décidément pas !
Que faites-vous aujourd’hui ?
Je continue à suivre l’actualité des entreprises high-tech, en me réjouissant de la réussite des dirigeants les plus sérieux, ceux dont on devinait déjà, il y a quelques années, qu’ils avaient un vrai statut de manager. Je pense à Cisco, bien sûr, mais aussi à des entreprises nées à Issy-les-Moulineaux, comme Wavecom, qui gardent ma confiance.
Croyez-vous toujours autant à l’Internet ?
Bien sûr ! C’est la crise de la nouvelle économie que nous vivons, pas celle de la société de l’information qui émerge. L’accès aux connaissances est toujours possible, l’e-mail plus que jamais utilisé. C’est une nouvelle société qui émerge. C’est donc, pour nos concitoyens, un vrai atout que d’avoir été sensibilisés très tôt. Ils peuvent aujourd’hui utiliser Internet pour communiquer plus facilement et plus rapidement avec leurs élus – les e-mails représentent le tiers de mon courrier quotidien –, pour communiquer entre eux (via les forums de discussion), être mieux informés des manifestations locales et, surtout, effectuer des démarches administratives en ligne.
Avec l’Internet, nous avons entre les mains un formidable outil de communication à destination de nos habitants et salariés d’entreprises.
Mais aussi un outil qui peut contribuer efficacement à rapprocher les citoyens et les élus. À Issy-les-Moulineaux, nous expérimentons, depuis plus de quatre ans, le conseil municipal interactif. Il s’agit de permettre aux citoyens d’intervenir pendant les débats du conseil municipal, retransmis en direct sur le réseau câblé et sur le Web. Ils peuvent poser leurs questions ou émettre des suggestions par téléphone et par courrier électronique. Cela a permis de replacer le conseil municipal au centre de la vie locale, et l’un des résultats les plus probants est la fréquentation accrue de la salle de l’Hôtel de ville pendant les séances.
Nous lançons, cet automne, une nouvelle initiative, le « Panel citoyen ».
Il s’agit de consulter régulièrement, via l’Internet, un panel représentatif de la population d’Issy-les-Moulineaux sur les grands choix de la vie locale. Cette initiative, organisée avec l’institut « Opinion Way », est une nouvelle illustration de la facilité apportée par Internet pour la démocratie participative. Je suis convaincu que les technologies de l’information apportent une formidable opportunité de moderniser nos démocraties.
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non marchand ?
Oui au commerce en ligne, dès lors que la sécurité du Réseau sera mieux assurée. Tant que nous devrons taper notre numéro de carte bancaire sur un site, même sécurisé, je ne crois pas que le public adoptera massivement les achats en ligne. Mais des solutions se profilent, notamment avec l’utilisation de la signature électronique et des cartes à puce.
Quant au Web non marchand, bien sûr que j’y crois, car l’Internet n’est pas qu’une immense boutique électronique. On doit pouvoir y trouver toutes les informations. C’est le sens même de l’existence du site de la ville, Issy.com.
Comment voyez-vous les années à venir ?
Nous sommes entrés dans une nouvelle société : la société de l’information. C’est un phénomène incontournable. Nous assistons simplement, sur le plan économique, à une remise à niveau qui aura le mérite d’assainir la situation. Les Français, comme le reste du monde, vont se connecter de plus en plus nombreux sur le Web, même si l’ordinateur personnel ne sera pas le seul support. On peut penser que, d’ici quelques années, on se connectera à partir du téléviseur, du téléphone mobile, de sa voiture, etc.
Ceux qui pensent que la chute des entreprises technologiques sonne le glas de cette évolution se trompent lourdement.
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la netéconomie ?
Je crois dans le secteur internet, qui constitue désormais un secteur
important de l’économie, au même titre que l’industrie automobile ou le secteur énergétique. La France a d’excellents atouts dans ce domaine et l’Europe conserve une bonne avance dans la téléphonie mobile.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances, et que vont-elles apporter ?
Au-delà de la croissance du commerce électronique, je crois que l’administration électronique est un grand rendez-vous à ne pas manquer. Ce qu’on appelle l’e-gouvernement devrait faciliter la vie quotidienne en nous permettant d’effectuer toutes nos démarches en ligne, sans perte de temps. Aux ...tats-Unis, ils appellent ce phénomène : « On line, not in line ».
La campagne électorale de 2002 sera l’occasion, pour les candidats, de présenter leur vision de la société de l’information à l’horizon 2007. Les candidats devront avoir une vraie stratégie de campagne sur Internet, qui répond à une approche différente de la campagne traditionnelle, généraliste par définition. Elle suppose un véritable suivi, avec une équipe chargée de répondre aux messages en temps réel, de diffuser les communiqués et informations et de surveiller les éventuels sites concurrents. Internet ne se substituera pas à la télévision ou à l’imprimé : les techniques sont plus additives que substitutives, toute innovation engendrant des phénomènes de recomposition.
Les technologies de l’information peuvent aider les citoyens à prendre une part plus importante dans la décision et la direction des affaires publiques. Il s’agit d’une opportunité unique de s’ancrer davantage dans une citoyenneté active et de participer au renouvellement de la démocratie. La demande de transparence et de participation accrue d’une partie de la population trouvera là un moyen de s’accomplir.