La déclaration de Berlin relance le mouvement pour des archives scientifiques ouvertes
Signée par de hauts responsables d’instituts européens de recherche, la déclaration de Berlin, datée du 22 octobre, prône l’accès libre aux archives scientifiques. Pour les signataires, ce choix doit dynamiser le partage et la recherche d’informations, ainsi que la diffusion des connaissances, menacés selon eux par les éditeurs de revue aux archives payantes. Cet appel renforce la dynamique internationale lancée il y a deux ans à Budapest et qui doit maintenant s’appuyer sur des outils concrets : des formats d’échange et de recherche entre les différentes bases d’archives comme celui de l’Open archives initiative et des licences ouvertes empruntées au monde du logiciel libre.
Les signataires en sont persuadés. La déclaration qu’ils ont ratifiée le 22 octobre 2003, en clôture de la Conférence de Berlin sur l’Accès libre à la connaissance dans les sciences et les humanités, est fondamentale. Vingt hauts responsables des principaux instituts européens de recherche soutiennent ce texte : ils demandent que tous les écrits, thèses, articles scientifiques, ainsi que tout le matériel nécessaire à leur argumentation, soient dorénavant publiés en accès libre ("open access").
Droit et bon vouloir d’auteur
Par "libre", entendez logiciels libres. "Les archives seront protégées par une licence proche de la GPL, General Public License", explique Jean-Michel Salaün, professeur à l’Ecole nationale des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), citant la célèbre innovation juridique créée par la Free Software Foundation au début des années 90. Les utilisateurs auront le droit de copier, distribuer, utiliser et modifier librement les textes tout en concédant la paternité à leurs auteurs."
Parmi les signataires, on trouve les Français Bernard Laroutourou et Christian Bréchot, directeurs du CNRS et de l’Inserm. Ils exhortent les chercheurs et les bénéficiaires de bourse à suivre les principes énoncés dans la déclaration de Berlin.
Pour le moment, ce sont les chercheurs, de leur propre initiative, qui déposent leurs contributions en archive libre. Les instituts n’encouragent pas officiellement cette démarche.
Si les archives se donnaient la main...
"La déclaration de Berlin est importante mais est la suite logique d’un mouvement global initié il y a plus de deux ans", observe Jean-Michel Salaün. Le texte fait suite à l’appel de Budapest de février 2002, soutenue par 3050 chercheurs, activistes, journalistes et 230 organisations.
De l’appel de Budapest est né l’Open archives initiative (OAI), un système qui vise à permettre "l’interopérabilité" entre les contributions scientifiques. "L’OAI est un protocole technique de communication reposant sur du XML", explique Marin Dacos, le responsable de revues.org, un site qui fédère des revues de sciences humaines et utilise des outils de publication ouverts issus du logiciel libre
Grâce à OAI, on peut faire des recherches d’informations dans les "métadonnées" attachées aux documents scientifiques, comme le titre, la date, l’auteur, la longueur, les notes de bas de page... Le format permet donc de s’y retrouver dans des grandes masses d’articles, qu’ils soient stockés dans un dépôt collectif officiel (comme le CCSD, Centre pour la communication scientifique directe du CNRS), dans une revue ou sur un site personnel. "L’OAI effectue une recherche d’information distribuée." résume Marin Dacos.
Parallèlement à OAI, il existe d’autres initiatives d’archivages "ouverts", surtout aux Etats-Unis. On trouve par exemple BioMed Central, pour les recherches médicales et microbiologiques, et les initiatives de l’ONG Plos (Public Library of Sciences), dont une revue se veut l’équivalent "libre" du célèbre magazine Science. Des démarches compatibles avec l’esprit de la déclaration de Berlin et d’Open archives initiative, d’après Marin Dacos : "On ne sait pas, pour le moment, exactement comment cela va se passer, mais il est tout à fait envisageable que ces initiatives puissent respecter l’OAI."
Les éditeurs en marche dispersée
Actuellement, selon Marin Dacos, 500 des 25 000 revues scientifiques recensées dans le monde entier proposent des archives libres.
"Ce sont les revues de physiciens qui ont le mieux compris les problématiques des archives libres", constate Jean-Michel Salaün, de l’Enssib. "Depuis des années, leur communauté partageait l’information suivant une méthode proche de celle décrite dans la déclaration de Berlin. Ce sont qui ont donné l’impulsion à ce mouvement."
Dans les autres disciplines, l’engouement est moins flagrant. "En sciences sociales, les maisons d’édition sont très inquiètes par les archives ouvertes", avoue Marin Dacos, dont le site fédère 18 revues en sciences humaines et sociales. "Il s’écoule environ deux ans entre le moment où je prends contact avec une nouvelle revue et le passage en open archive."
Feu vert sur l’expérimentation
Pour combattre les réticences, Marin Dacos propose aux revues un mode de publication que Jean-Michel Salaün qualifie de "mur flottant" : seule une partie des articles du numéro est mise en ligne, "souvent un article plus tous les comptes-rendus de lectures", explique le responsable de revues.org. Le reste des articles n’est consultable que sur papier. Le passage aux archives libres de tous les documents se fait à l’issu d’un délai variable suivant les éditeurs, souvent au bout de trois ans.
"Ce genre de modèle est intéressant pour les éditeurs estime Jean-Michel Salaün. "A l’avenir, il y aura encore d’autres expériences de ce type."
Pour aller plus loin et expérimenter d’autres modèles économiques, il faudra des fonds. L’appel lancé à Berlin -comme celui de Budapest- a le soutien de la fondation du milliardaire George Soros mais, déplore Marin Dacos, c’est "une importante déclaration d’intention qui n’est pas suivie d’une déclaration de moyens".
"Les archives ouvertes représentent un mouvement assez inéluctable de l’édition scientifique, affirme Jean-Michel Salaün, de l’Enssib. Il est probable que d’ici trois ans, le secteur va profondément se modifier." En avril 2003, à la conférence de Bethesda (Maryland), des hauts responsables d’universités américaines se sont rassemblés pour arriver aux mêmes conclusions.