Depuis le début de l’année, Isabelle Falque-Pierrotin, conseillère d’...tat, est chargée des destinées du forum des droits de l’Internet. En tout cas, pour l’instant, de son organisation.
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Elle joue les femmes-orchestres sous l’œil narquois d’un petit squelette de plastique ivoire en noeud pap’, posé sur le bureau. Au Conseil d’...tat, où l’ambiance ne porte pas franchement à la rigolade, ça vous pose le personnage. Ce gri-gri offert par un visiteur l’amuse plutôt, mais est - on là pour parler d’une chose aussi futile avec Isabelle Falque- Pierrotin, 41 ans, dépositaire, depuis le 14 décembre 2000, d’une partie de la destinée de l’Internet dans ce pays ? La réponse est non. Au commencement de l’aventure était Christian Paul, député socialiste, chargé d’une mission de réflexion sur ce vaste sujet. Régulation, régle-mentation, concertation, il fallait trouver, entre toutes ces directions, un moyen consensuel de faire entrer le web dans un cadre juridique et pratique acceptable par tous. Il proposa donc le Forum des droits de l’Internet. Le destin ministériel de l’élu, appelé à la tête du secrétariat d’Etat à l’outre-mer, propulsa Isabelle Falque-Pierrotin en scène.
Se rendre utile
Au milieu du gué, voilà donc une conseillère d’Etat en duffle-coat perle et pashmina lilas, plutôt "centre droit", chargée de donner corps aux cogitations d’un homme de l’autre bord. Politiquement pas correct ? Enervée : "Je vous laisse le dire." Et alors ? Dans les sphères ministérielles qui ont présidé à son choix, on la juge "compétente, convaincante" et preuve que la gauche plurielle ne connaît plus de limites. La dame fut, en 1993, directrice adjointe du cabinet de Jacques Toubon (RPR) au ministère de la Culture. Puis présida une mission pour le compte d’un ministre (RPR), François Fillon, sur le thème, déjà, de l’Internet. "On en a tiré quelque chose dont je ne suis pas à l’origine", se raidit-elle avant toute attaque. En 1996, l’amendement Fillon n’avait pas relayé ses idées : "Le CSA voulait réglementer, moi je souhaitais l’auto-contrôle, l’auto-régulation." Inspiration ? "Des consultations, des voyages, des échanges, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux ...tats-Unis." Méthode et détermination forgées dans les bonnes écoles : Hec puis Ena, "parce que cela correspondait à une certaine idée du service de l’...tat, pour se rendre utile". "Mais pas Sciences-po", s’excuse t-elle presque. Le Who’s Who nous apprend que son mari, lui, oui. Bien sortie de l’Ena, au Conseil d’...tat, la fille d’industriel, ancien patron de Creusot-Loire et de Pica a suivi, en parallèle, la formation de l’Institut multimédia. Filé, en 1990, chez Bull comme chef de cabinet et secrétaire générale de Francis Lorentz, puis de Bernard Pache dans une entreprise en crise. Avant retour (définitif ?) à la sphère publique.
Le lancement de sa petite entreprise qu’est le Forum, "c’est un peu la création d’une petite start-up publico-privée : il faut trouver les gens, le budget, les locaux, les axes de travail, créer un le site Internet", énumère-t-elle, interrompue par le téléphone. Passant en revue, du regard, les dossiers bien ordonnés et une pile du rapport qui a fait sa réputation, coordonné pour le Conseil en 1998 : Internet et les réseaux numériques en France. C’est en partie grâce à lui qu’aujourd’hui, dans la sphère publique, on la considère comme l’une des très bonnes connaisseuses des problématiques de l’Internet. Sur le sujet duquel elle fut aussi experte auprès de l’OCDE.
Début janvier, aux rencontres d’ Autrans (Isère) messe annuelle du chapitre français de l’Isoc (Internet society), elle conquiert une partie de l’assistance en testant, in vitro, sa réflexion sur la mise en œuvre du Forum des droits de l’Internet. Modeste et déterminée. "Travail pas à pas", "terrain à défricher, et non jardin à la française". Fine communicatrice, elle distille, de ci, de là, dans les medias, la même antienne, en attendant, comme au tennis, le retour du service.
Une mission d’éclairage
Voici déjà venu celui de l’IRIS (Initiative pour un réseau Internet soli-daire), bouillante association qui lui décoche des flèches. Suspicion de libéralisme à l’horizon. "Il faut que je les appelle." Car le Forum devra associer tous les acteurs, privés, publics, associatifs à sa démarche. Cadre général : une association 1901 et non l’une de ces autorités indépendantes qui, comme la CNlL (commission nationale de l’informatique et des libertés) ou le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), "sont là pour administrer une réglementation sectorielle, mais dans le cas d’Internet il n’y a pas de réglementation spécifique", explique Isabelle Falque-Pierrotin. Convaincue que l’administration de l’Internet c’est, aujourd’hui, le juge, elle envisage, pour le Forum, une mission d’éclairage : "Faciliter les décisions du législateur, et non être, lui-même, un régulateur." Avec une modestie proclamée. Pas de grand chantier, mais un ou deux thèmes de réflexion "pour tester le fonctionnement". Pas de grandes réunions mais des groupes de travail. Pas d’adhésions individuelles à cet organisme du troisième type, mais des personnes morales (associations), des personnalités qualifiées, des représentants des entreprises. L’ensemble travaillant, confrontant, proposant. Et, sur le site Internet, des informations pour le grand public, déconcerté par la variété des régulations qui s’appliquent (loi règlements, jurisprudence). Sous la forme de questions réponses à la manière des FAQ. Entre autres.
Restera à trouver une vitesse de croisière. Et un nom de baptême "compréhensible au plan international" (avis aux amateurs). Non pour faire chic, mais parce que l’un des buts du Forum sera de participer à l’organisation de normes internationales. En travaillant avec des juristes comme Pierre Trudel au Canada, Lawrence Lessig aux ...tats-Unis, ainsi qu’avec des Australiens, "tous acteurs de la régulation avec lesquels il faut échanger". Il faudra attendre les premières semaines d’avril pour connaître le nom de ceux qui constitueront le premier cercle du Forum. Entre temps, la conseillère d’...tat se sera envolée vers les ...tats-Unis, pour en savoir plus les méthodes en vogue outre-Atlantique. Convaincue que, pour faire travailler dans le Forum, des participants venus d’univers aussi différents, il faudra, pour la méthode, innover.