Invité à la conférence internationale des commissaires à la protection des données personnelles de Paris, l’eurodéputé Marco Cappato pointe le risque d’affaiblissement des libertés publiques, dans un contexte de lutte anti-terroriste.
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Les tables rondes consacrées à la lutte contre la cybercriminalité, lors des derniers colloques consacrés à Internet, avaient eu la fâcheuse caractéristique de réunir avant tout des policiers et des juges. Celles de la Conférence internationale sur la protection des données personnelles, organisée par la CNIL, faisait donc figure d’exception, lundi 25 septembre. On a, ainsi, vu Marc Rotenberg, responsable d’une des principales associations américaines de protection de la vie privée sur Internet (Electronic Privacy Information Center) faire part de son inquiétude face aux projets de lois anti-terroristes du ministre de la justice de George W. Bush. On a également pu entendre l’avocat Francis Teitgen, bâtonnier de Paris, mettre en garde contre la réapparition d’un débat "
sécuritaire", dans lequel l’équilibre entre sûreté et liberté serait bouleversé au dépens de cette dernière. Enfin, on a écouté un eurodéputé dénoncer les dirigeants qui utilisent, "
tels des chacals", l’émotion suscitée par les attentats aux ...tats-Unis pour adopter des législations répressives. Trentenaire, le député italien Marco Cappato est rapporteur du projet de révision de la directive sur les télécommunications au sein de la Commission des libertés et des droits des citoyens du Parlement européen. Interview.
Comment un débat sur la cybersurveillance a-t-il pu s’insérer dans les discussions sur la révision de la directive télécom ?
Normalement, la question de la conservation des données de connexion à des fins d’enquêtes et de coopération judiciaire ne devait pas entrer dans cette négociation, qui fait l’objet d’une procédure de co-décision entre le Parlement et le Conseil des ministres. Mais ce qu’il se passe, c’est que certains gouvernements demandent que l’on supprime de la directive le principe d’effacement de ces données par les fournisseurs d’accès, au-delà des besoins de la facturation. Ils craignent que cette disposition ne les empêche, plus tard, d’exiger la conservation des données pour la police. Au Parlement, nous estimons qu’on peut prévoir cette éventualité mais qu’elle doit rester exceptionnelle et respecter les garanties offertes par la convention européenne des droits de l’homme.
Pensez-vous obtenir gain de cause ?
Au Parlement, oui. L’amendement que j’ai présenté est passé à l’unanimité même si l’ensemble du texte a buté sur une toute autre question : celle du spam. Après ce qui s’est passé aux ...tats-Unis, il n’est pas sûr que la proposition passe de nouveau à l’unanimité, mais je pense qu’elle sera adoptée.
En face, quels sont les ...tats qui veulent renforcer la surveillance aux dépens de la liberté ?
C’est tout le problème. On ne le sait pas car le Conseil européen, alors qu’il agit comme législateur dans la procédure de co-décision, décide de manière totalement opaque et non-démocratique. Mais je ne crois pas qu’il y ait une volonté de surveillance à tout prix, de type fasciste. Simplement, les forces de polices poussent - en toute logique - pour obtenir davantage de données. Or, le rôle du pouvoir politique est de résister à cette pression. Il doit affirmer d’autres priorités que la seule efficacité policière.
À ce propos, vous critiquez aussi l’éventualité d’un mandat "opérationnel", pouvant être accordé à Europol qui, dans le même temps, pourrait devenir plus qu’une simple plate-forme d’échange d’informations entre les polices...
Dans toutes les sociétés démocratiques, les opérations de coopération policière et judiciaire sont soumises à un contrôle parlementaire et juridictionnel. Les ...tats semblent d’accord, aujourd’hui, pour donner un rôle opérationnel à Europol mais celle-ci ne fait l’objet d’aucun contrôle de ce type. De la même façon, le mandat d’arrestation européen que l’on a annoncé ces derniers jours et dont tout le monde semble se réjouir passe par-dessus des principes qu’ont entérinés les ...tats démocratiques. Par exemple, certains d’entre eux ont refusé jusqu’à présent d’extrader des ressortissants d’autres pays membres, quand ils ne bénéficient pas des mêmes garanties en matière de procédure pénale.
Vous pensez donc que les attentats américains sont, dans tous les pays, l’occasion de durcir la législation ?
C’est une évidence. Les projets qui ressurgissent aujourd’hui étaient à l’agenda depuis des années. Le projet Europol avance au gré des urgences du moment : la drogue, les pédophiles, la lutte contre la prostitution... C’est la même chose pour la cyber-surveillance. Ceux qui en font la promotion espèrent tirer profit de la conjoncture pour faire passer leurs lois. Or la plupart des experts ont dit, à propos des attentats américains, que les services secrets s’étaient beaucoup trop focalisés sur la technique. On risque donc de restreindre les libertés des citoyens pour pas grand-chose. Car, même si vous avez des ordinateurs capables de lire les e-mails, vous ne croyez quand même pas que vous allez tomber sur un message disant "Ciao, je suis Ben Laden, c’est à quelle heure, au fait, l’attentat ? " Sérieusement, les milieux du crime organisé ne seront pas limités par ce type de surveillance.
Quelles propositions faites-vous ?
On ferait mieux de consacrer cet argent à la racine du problème et de permettre aux populations menacées par le fondamentalisme de s’informer à des sources alimentées par l’Europe, ou de faire un travail d’infiltration. L’...tat de droit est une garantie pour la liberté. Il faut l’exporter.