A coups de petites phrases, de déclarations truffées d’emphase voire d’appels à la résistance, pros et anti-crypto n’ont eu de cesse, depuis une semaine, d’attiser les braises sur l’autel du droit à la vie privée.
Comme toute crise majeure, les dramatiques attentats aux ...tats-Unis ravivent toutes les angoisses. Voire toutes les hystéries. Soupçonnée d’être un outil au service des terroristes, la cryptographie est ainsi au fil des jours de plus en plus montrée du doigt. Vénérable historien britannique des affaires militaires, John Keegan, chroniqueur patenté au London Daily Telegraph, appelle ainsi à l’interdiction pour tout opérateur internet de "transmettre des messages cryptés que même la NSA n’arriverait pas à déchiffrer, et à fermer d’office tout opérateur qui refuserait de s’y conformer. Les opérateurs étrangers, dit-il, qui chercheraient à résister devraient s’attendre à ce que leurs bâtiments soient détruits par des missiles de croisière."
La semaine dernière, le sénateur américain Judd Gregg demandait lui aussi la mise au ban de tout outil de cryptographie non muni d’une backdoor (porte dérobée) accessible aux agents de la National Security Agency (NSA), tout en réclamant une indispensable coopération internationale en la matière. La NSA, connue pour être à la tête du système Echelon, dispose, on le sait, d’une équipe de cryptographes, et de briseurs de codes à nulle autre pareille. De là à penser que tous les pays du monde, unis dans la douleur provoquée par l’attentat du World Trade Center, se placeraient sous la tutelle des services secrets américains, il y a un pas que personne n’a encore osé franchir.
Cela dit, le Congrès américain a bel et bien voté la semaine passée un amendement autorisant, sous certaines conditions, un procureur à demander au FBI de placer un quidam sous surveillance électronique, le tout sans avoir à obtenir de mandat auprès d’un magistrat. De son côté, le procureur général John Ashcroft a annoncé samedi 15 septembre qu’il allait demander au Congrès d’accorder encore plus de pouvoirs aux forces de l’ordre en matière de surveillance et de mises sur écoutes.
En face, les défenseurs des droits de l’homme, de la vie privée et de la cryptographie se montrent particulièrement offensifs : ils n’entendent pas abandonner des droits fondamentaux au nom de la gravité de la situation. Car, comme le rappellent bon nombre de commentateurs, chaque crise de cette ampleur s’est doublée par le passé de mesures allant à l’encontre des droits fondamentaux. Or, les Américains ont déjà eu à se battre pour le droit d’utiliser la crypto. L’auteur de PGP, Phil Zimmermann a failli passer plusieurs années en prison pour avoir diffusé son programme. John Gilmore, co-fondateur de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), et John Young, du site cryptome.org, ont ainsi appelé à multiplier (et délocaliser à l’étranger) le nombre de sites proposant des outils de cryptographie.
De son côté, John Perry Barlow, ancien des Grateful Dead, co-fondateur de l’EFF et auteur de la Déclaration d’indépendance du Cyberespace, envoyait le jour même des attentats un e-mail à ses amis. Oui, il était en vie, mais le pire était à venir. Comparant ce qui venait de se passer à l’incendie du Reichstag (fomenté par Hitler en vue d’asseoir le régime nazi), il appelait ses pairs à ne pas laisser les terroristes, "alliés naturels des fascistes", entraîner le gouvernement à se doter des mesures "totalitaires" supplémentaires. On peut regretter l’emphase de ses propos mais il reste vrai que, depuis une semaine, les défenseurs des droits civiques et de la vie privée ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. Pour Andy Müller-Maguhn, porte-parole du Chaos Computer Club (CCC), qui fêtait les 20 ans de son groupe la semaine passée, "les ...tats-Unis et les pays de l’OTAN vont tirer profit de ces attentats pour renforcer leur contrôle des communications". Philippe Zimmermann, le créateur de PGP, le plus connu des outils de crypto, interrogé par nos confrères de Futur(e)s, appelle ainsi les citoyens à ne pas laisser les terroristes obtenir une "seconde victoire" : "Que ce soit au Congrès, dans les tribunaux ou dans les colonnes des journaux, le pays a déjà débattu de cette question au cours de la dernière décennie. Et tous ensemble, nous avons décidé que la société avait plus à gagner qu’à perdre d’une cryptographie forte. Il ne faut pas oublier que la cryptographie sauve des vies dans le monde entier. Le logiciel PGP est utilisé par des organisations de défense des droits de l’Homme partout dans le monde, et spécialement sous les dictatures." Comme l’avançait Declan McCullagh, journaliste à Wired particulièrement au fait de ces questions, "la guerre de la crypto ne fait que commencer".