Le Journal officiel a publié le 26 juin 2003 un arrêté du ministère de la Justice portant sur la création de systèmes de reconnaissance biométrique de l’identité des détenus. Le texte permettra la généralisation de ce type de mesures de surveillance dans les établissements pénitentiaires.
Le système retenu par la Direction de l’administration pénitentiaire repose sur une reconnaissance de la "morphologie de la main" (l’empreinte palmaire) d’un prisonnier, couplée à une carte d’identité magnétique "infalsifiable".
Lors de son arrivée dans un établissement, le détenu enregistrera au greffe un gabarit de sa main, qui sera stocké avec d’autres informations (nom, photographie et numéro d’écrou) dans un serveur central, auquel seront reliées des bornes disposées dans la prison. Lors d’un contrôle, l’empreinte de la main appliquée sur une borne sera ainsi immédiatement comparée au gabarit laissé au greffe.
Accessibles aux seuls personnels pénitentiaires, les données biométriques devront être détruites dès la levée d’écrou, qu’il s’agisse d’une libération ou d’un transfert vers un autre établissement. Chaque installation de ce type devra être déclarée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Evasions par substitution : rares mais médiatiques
Pour les autorités, ce type de procédé permettra de renforcer la surveillance lors des phases de déplacement, notamment l’accès et le retour du parloir. "Il s’agit de lutter contre les évasions par substitution, explique Martine Leguedey, de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Ce n’est pas très courant mais cela s’est produit à quelques occasions. Il fallait donc mettre en place des conditions de sécurité renforcée à ce sujet."
Rares, les évasions par substitution ont cependant été très médiatisées. Ce fut notamment le cas de celle d’un membre présumé de l’organisation indépendantiste basque ETA, qui s’est échappé le 17 août 2002 de la prison de la Santé, à Paris, en se faisant remplacer par son frère.
Testé dans les prisons de Nanterre (Hauts-de-seine) et de la Santé depuis 2002, le recours à la biométrie devrait être étendu en 2003 à d’autres établissements : les Baumettes à Marseille, Fleury-Mérogis, Fresnes et Bois-d’Arcy, en région parisienne.
"L’arrêté va permettre de passer du stade de l’expérimentation à celui de la généralisation de ce type d’installation", confirme Martine Leguedey.
50 000 euros par installation
Si l’on admet, à la direction de l’administration pénitentiaire, qu’il existe actuellement "un engouement sur ce sujet", on préfère rester discret sur le nombre de prisons qui seront, à terme, équipées de systèmes de surveillance biométrique.
Car de tels outils ont naturellement un coût élevé. Le ministère de la Justice estime à 50 000 euros le budget que devrait allouer un établissement à l’installation d’un système de reconnaissance biométrique. Equiper les 187 prisons que compte le territoire français reviendrait donc à près de 9,5 millions d’euros.
La généralisation de ces systèmes dans les établissemnts pénitentiaires ne donnera lieu à aucun appel d’offre national, le ministère de la Justice ayant décidé de laisser à chaque direction régionale le soin d’organiser une consultation à son niveau. En revanche, le nom du sous-traitant et le dispositif technique retenus devront figurer dans la déclaration à la Cnil, en même temps que les mesures de confidentialité mises en oeuvre.
Avis favorable de la Cnil
Consultée sur le projet d’arrêté du ministère, la Cnil a rendu un avis favorable le 22 mai. "Pour nous, il y avait deux points sensibles : la durée de conservation des données biométriques et le fait que les informations ne soient pas stockées sur les cartes d’identité des détenus mais sur un serveur central de l’établissement, explique un membre de la Commission. Comme le texte de l’arrêté présentait toutes les garanties sur ce point, il n’y avait pas lieu d’émettre des réserves."
Tout au plus, la délibération de la Cnil souligne-t-elle : "Si la Commission a exprimé sa préférence pour les techniques n’impliquant pas la constitution d’une base de données centrale regroupant les gabarits biométriques d’individus, il convient de relever ici, outre les impératifs de sécurité, que la base centrale qui sera créée sera propre à chaque établissement et ne sera pas interconnectée avec d’autres traitements."
Côté personnels pénitentiaires, l’introduction de la biométrie ne suscite pas un enthousiasme débordant. "Si dans les petits établissements, on connaît personnellement chaque détenu, ce n’est pas le cas dans les plus grands. Cela fournira une protection supplémentaire pour les parloirs", estime Véronique Mao, de l’Union générale des surveillants pénitentiaires, qui précise cependant que ce syndicat CGT s’est farouchement opposé à ce que le recours à la biométrie soit, la prison de Fleury-Mérogis, étendu aux personnels pour le pointage des heures de présence.
Rassurer l’opinion publique
"De toute façon, le renforcement des mesures de surveillance fait partie des objectifs affichés du gouvernement actuel, pour qui la sécurité n’a pas de prix, poursuit la syndicaliste. Mais c’est de l’argent qui ne sera pas consacré aux dispositifs de réinsertion des détenus..."
Un scepticisme qui rejoint celui des associations de soutien aux prisonniers. "Cela sert à rassurer l’opinion publique, juge Milko, de Ban public, qui édite le site d’information sur le milieu carcéral prison.eu.org. Mais les peines prononcées sont toujours plus longues et les conditions de détention de plus en plus difficiles. Ce genre de mesure ne résoudra pas les problèmes de la prison, il ne fait que les déplacer. Si on ne s’évade pas par substitution, on le fera d’une autre façon. Et renforcer les mesures de protection nourrit la tendance actuelle, qui est aux évasions de plus en plus violentes."